juin

29 juin 2014 § Poster un commentaire

Juin n’est pas mai ni juillet. Cette grande évidence ne repose pas seulement sur le temps qu’il y fait. En mai, l’esprit s’ancre dans la promesse, la douceur, ébauche ce que juin réussit ; quand à juillet, installé sans nuances, dominé… Fin juin, il peut pleuvoir comme maintenant, inutile, année terminée, fin d’activités, vacances proches, retour des souvenirs… quelques jours intermédiaires et tout basculera. Quelque chose se délie. Sans parler d’août.

pluie 2

Cure :

The Battle of wits de Jacob Cheung, avec Andy Lau, musique tragico-éthérée-fin des temps cf. Gladiator, figurants et seconds rôles trop pleurnichards ou perclus de bons sentiments. Sauces dont on s’habitue cependant.

Le Secret des poignards volants avec Zhang Ziyi, Andy Lau(+), Takeshi Kaneshiro (+),

Les Trois Royaumes de John Woo, avec Takeshi Kaneshiro, Zhao Wei,

Ha Mulan avec Zhao Wei, Chen Kun,

Détective Dee de Tsui Hark, avec Andy Lau (+),

Hero de Zhang Yimou avec bcp de monde, Maggie Cheung, Zhang Ziyi, Tony Leung Chiu Wai, mais aussi hélas ! Jet Li (épuisant) et Donnie Yen (pénible, dans la première séquence, combattants en suspens cf. Tigre et Dragon), légende ampoulée, trop de belles images ; séquence des flèches et de la calligraphie, mieux. Emprunts (cf. Troie, ciel noirci de flèches) ou l’inverse. Intrigue mieux. Toujours un vaste et généreux projet pour faire tenir les coups d’épée. Grandiloquent, trop d’effets de manches et de voiles, de couleurs et de masses, trop de flèches. Manque Shakespeare.

La Cité interdite angl. The Curse of the golden flower, de Zhang Yimou, avec Gong Li, Chow Yun-Fat, superbe début, cavaliers, servantes en nombre, même geste multiplié par cent à l’image, les pieds dans les pantoufles, laçage des poitrines, et le portrait de Gong Li, coiffée, bijoux (musique trop).

A Touch of Sin (+)

Le col blanc à même la peau sous les couches de kimonos, les coiffures alambiquées ou les nattes, les tenues de katana, la chorégraphie, le vol soyeux de la flèche plus que le coup de sabre, les saluts formels voire protocolaires, la forme des bols, la porcelaine aperçue, les visages de certains figurants (en général, des bataillons, mais parfois bien choisis : on décèle à l’occasion derrière le maquillage de boue et les oripeaux travaillés des costumiers un hébètement provincial), les paysages, le raffinement des cosmétiques. La famille ou le clan ou le royaume Zhao revient dans de nombreux films. Royaume de Qin également. Des noms : Chatchai Pongprapahan… A ces exotismes d’époques, de langues, de nourriture, de références historiques et de visages conviendraient des situations inattendues, une morale surprenante, non, valeurs chevaleresques, parfois outrées, mais le plus souvent basiques, félons, hommes d’honneur, sentiment du sacrifice et de l’injustice, fraternité.

sans mots

28 juin 2014 § Poster un commentaire

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Structure accueillante (encore)

24 juin 2014 § Poster un commentaire

Une parade.

Tout dans le montage. Les jours qui se suivent sont une plaie de l’esprit. La chronologie y coule un ciment qui tient lieu de base, d’explications, de narration, de garde-fou. Et après ?

Aucune connivence. Aucun retour. Réception quasi nulle. Le prix d’une liberté. Plus qu’une discrétion, un enterrement chaque fois. Eviter les malentendus, rigolade, pas entendu du tout, ni vu, ni lu. Et ce devrait être le moteur de l’écriture !

Se tromper sur toute la ligne, refuser, taper toujours à côté, se tenir à côté de la plaque, chercher sa place qui est déjà trouvée. On ne veut pas autre chose. Aucune parade. Chaque personnage se trompe, insiste.

Refaire mes lignes et les dater, jour, heure, minute : reliefs d’un moment.

Non pas donner raison. Plutôt faire en sorte que l’autre ne pense même avoir eu tort de mal faire. Pratiquer l’oubli. Les voisins du dessus très bruyants. A K. que je croise dans l’escalier, je demande comment s’est passé cet anniversaire ; la laisser raconter le mal qu’elle a eu à gérer ces vingt enfants. Hausser les sourcils, compatir, sourire avec bienveillance.

P., beaucoup d’esprit et d’entregent, cultive l’excès, adepte de la quantité plutôt que de la qualité, selon ses mots, spécialiste autodidacte, tyran domestique, professe,

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Studio per la testa di un combattente, 1503-04

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La photo saisit cette femme dans une tout autre action. Elle fronce les sourcils, écarte les paupières pour grossir des yeux, admonester, rappeler à l’ordre, édicter ; elle incarne la loi, le pouvoir, elle terrifie parce que ses yeux semblent l’être, qui lancent des flèches ; elle n’est plus elle, elle est sa fonction (Leslie Caldwell, division criminelle (autrement dit FBI, blason dans son dos) du ministère américain de la justice depuis mai (Le Monde du 30.06.2014 à 16h08, article « Qui sont les tombeurs de BNP Paribas ? »)

Les deux illustrations suivantes s’écartent du propos. Mais je viens de revoir Les Sept Samouraïs, et sa lumière déborde constamment de son cadre. J’ai, à dix-huit ans, acheté deux carnets de dessins, l’un de Raphaël, l’autre de Léonard, dans la rue qui longe la Galerie des Offices à Florence, carnets que je regarde encore et qui ont été une révélation. Non, c’était à Venise, place Saint-Marc ; sous les galeries qui longent le Palais des Doges en allant vers le Grand Canal, étaient installés des vendeurs de livres, de calendriers et de photos.

etude+de+guerriers+anghiari

Les sept samouraïs 1

Café où le serveur (vêtu tout de rouge, short nylon, Nike et sans doute maillot de foot, tatoué, nerveux, engueulant les clients aussi, répandant une atmosphère de stress, disant, répétant, serinant à un client perdu de vue (parce qu’il était parti aux toilettes, chercher du liquide?), client qui retourne à sa chaise, donc, lui disant à bout portant (comme l’écrit Saint-Simon) qu’il n’est pas physionomiste, et le client, costume-cravate, ouvrant les yeux, mal), le gérant et la serveuse ne cessent de se disputer, aux Halles. Uniqlo, Muji, H & M, les soldes. Peu ou pas d’argent, mais il faut quand même s’habiller, habiller les enfants. Galerie Perrotin, sous le patronage de Pharrel Williams, un Cindy Sherman, un Sophie Calle. Une femme m’explique que Helen Williams, sur le tableau de Murakami, est la femme de Pharrell Williams. Elles sont deux à l’entrée, et comme nous sortons, Carlotta et moi, l’une dicte à l’autre une formule de politesse qui remercie par mail un destinataire, je redéploie sa formule à leur adresse et elles sourient. Il fait un tel soleil. Il faut ressortir pour le cadeau d’anniversaire à Salomé et Rosalie, livres à la Rubrique à bulles, boulevard Richard Lenoir, où leur petit gang de filles a l’habitude : certaines viennent y lire en sortant de cours ; quand un livre est acheté en double, elles viennent l’échanger ; et aujourd’hui, comme à une liste de mariage, la vendeuse prévient que tel et tel ouvrage ont déjà été choisis. La vendeuse raconte un puis deux livres à Carlotta qui ne dit rien, écoute, se laisse bercer par le résumé, voudrait que ça continue, mais c’est l’heure. Je dépose Carlotta. En rentrant, un homme sur un banc lit un livre. Je dis aux garçons que j’ai trouvé beau cette position, Gabriel est d’accord. Arthur fait le rebelle : vivent les ordis, vivent les smartphones. Malgré tout, nous ne sommes pas dupes de notre affection pour le geste si rare de lire un livre sur un banc. Nous parlons bien de l’envahissement des écrans et de l’appauvrissement de l’homme. Je leur raconte qu’un autre soir, en chemin vers le vernissage d’une expo (F1 avec Ricardo Mosner), je me suis perdu et qu’une femme a sorti son plan pour m’aider, et que je me suis retrouvé quasi dans la situation d’une pub contre les écrans, à parler à une vraie personne, à regarder des choses écrites à même du papier. N’empêche l’Italie est éliminée.

D’une grande et robuste branche, plusieurs balançoires tombaient. Du même arbre jaillissaient vers le ciel de longs bandeaux rouges, une vingtaine, plus peut-être. Balançoires et bandeaux étaient l’image d’une résistance à l’arbre, différents dans leur engagement contre le tronc et le feuillage, accessoires de décoration ou de jeu, ils passaient pour autre chose, étaient pris pour autre chose, se révèleraient un jour, se vengeraient, attendaient. (rêve-rêverie de ce matin, qui re-présente l’intrigue de L’Amour est un crime parfait).

Il a placé le couteau sous ma gorge, s’est ravisé, a pointé le canon sur ma tempe, puis sur mon front, déjà, à déplacer l’arme, il devait avoir abîmé son idée dans le mouvement, et il s’est ravisé une nouvelle fois. Qu’a-t-il évalué ensuite ? La hauteur de notre appartement dans l’immeuble : quatrième étage. Le type du cinquième avait réussi à se tuer ainsi. Le trou dans la pelouse, c’était lui. Il s’appelait Sudert. Sa tombe est au cimetière du Blanc-Mesnil. Il a songé au poison, mais quel poison ? Des médicaments, oui. Mais non. Lequel ? Quelles doses ? Où s’en procurer ? Comment faire ? Le gaz. Le détachant. Et encore et toujours, à peser (et à essayer, parce qu’il les a essayés) les expédients, le projet se perdait dans le geste qui ne jaillissait pas. Il a dû lui rester une sorte d’équation de la fin où l’inconnue de la douleur ne tendait pas vers zéro. Il a donc renoncé à me tuer, à tuer ma soeur, et il s’est tué lui. Nous en serions mortellement touchés pour le reste de notre vie. Avec cette nouvelle formule : nous l’avons tué. Nous sommes responsables de sa mort. Nous allons nous reprocher tout le temps sa mort. Nous n’avions pas besoin qu’il meure pour l’aimer. Ainsi naissent les religions de pères muets. Des années à le justifier, des années à le haïr, des autels à sa mémoire, des psychanalystes à nourrir. Et nous, en lambeaux, mal construits sinon détruits. A ne pas comprendre. La bêtise et le chagrin se mêlant dorénavant, l’un dédouanant l’autre, mais le plus souvent faisant cause commune dans le rappel du drame essentiel qui nous libéra tout en nous menottant : notre triste apothéose. Si seulement nous avions pu parler de tuile. Merde, mon père est mort. Jean-Pierre Jacques m’a raconté que lorsque son père s’est pendu avec un bout de corde accroché à un guéridon, sa soeur et lui, plutôt contents en découvrant le corps, n’étaient pas sûrs qu’il eût réussi à faire ce qu’il fallait, que lui ou sa soeur approchant une main pour savoir, l’autre avait dit attends. Ce n’était pas mon cas.

Je crois, mais nous avions beaucoup bu et ma vision même était sans doute altérée mais tout de même, je crois que F. et P., l’un à côté de l’autre pendant le repas, se sont, vers minuit et demi, embrassés, et que F. pressait P. de mettre la langue à voix haute, sans s’en faire de la présence de mon voisin P. L. et la mienne, pour simplement avoir du plaisir, plus de plaisir. Je les ai laissés tous trois et suis rentré à vélo, sans pluie, non pas à cause de leur(s) baiser(s), mais parce que ça allait comme ça. Marie (Binet) très sobre, Christophe (?, photographe, amie de F.) ont partagé notre repas. C’est-à-dire que F. est souvent en grande demande (?) tout en rappelant son amour qui dura dix-huit ans et encore maintenant. P.L. fut toute la soirée farouchement attaché à dégrader la moindre sortie de F., à la déconsidérer, à la maudire. Je le pinçai même sous la table pour lui proposer de modérer son ton, mais il ne démordait pas de son acrimonie. J’ai, à plusieurs reprises, aperçu l’amitié de P.L. à mon égard et j’en ai été touché. Il a fumé mon tabac. P. a sorti HSP qui signifie Haute Société Protestante, et s’applique à plusieurs de leurs amis. P.L. s’est dit non concerné par les initiales, même s’il a partagé le lycée et des périodes avec certains (François F., Eric d’H., les frères C.) qui appartiennent eux à la HSP. Hier également, mauvaise discussion à propos de Saint-Simon que j’adore et lis tout le temps en ce moment et P. qui m’oppose des idées rapides et que je dois contrer alors que je n’ai aucune envie de contrer ; je voudrais tant en apprendre.

Or, ce que les moteurs de recherche ignorent, ce que ce site ignore, c’est le travail. Ils (?) préfèrent considérer l’idée de billet comme achevé. Ainsi, une fois publié, le billet du jour est vu une fois et pas deux. C’est formidable. Parce que la pensée qui fait jour est que si on a lu un truc on ne va retourner le lire. Sans comprendre que le billet grossit, que rien ne l’empêche de changer. Mais ça le moteur ne le sait pas. On ne sent pas fort d’une telle découverte, on se sent à l’abri.

X., amie de Carlotta, d’une grande laideur, velue, presque bossue, tassée, au rire brutal, sonore, affublée de RayBan, aucune élégance, abandonnée par ses parents, 12 ans, seule dans l’appartement où elle erre, s’est remise à faire pipi au lit. Carlotta, vers 3 h 20, veut dormir dans mon lit ; elle ne peut dormir dans le sien ; je ne comprends pas, dit oui, c’est la première fois, mais je ne suis pas en mesure de lui demander ce qu’elle a, pense en me levant le lendemain qu’elle a été dépossédée de son lit dans la nuit par une de ses deux copines, non, c’est X. qui ronflait et Carlotta ne pouvait dormir. La mère de X. est artiste, le père vieux ne s’intéresse pas à elle.

(relu le mercredi 21/10/2015 : je sais changer encore toutes les initiales ; ce n’est pas le cas de tous les billets.)

comme sonne l’été

20 juin 2014 § Poster un commentaire

Boum, c’est le mot écrit sur le carton d’invitation de l’anniversaire. Ce soir, Kasimir et un ami le fêtent avec une vingtaine d’enfants. Il est 19 h. Depuis une heure, ce ne sont que piétinements au-dessus de ma tête. Il y a un an, j’avais déjà décrit ici l’événement. Curieusement, le souvenir de cette relation et l’écriture de l’actuelle écrasent le temps, compactent une année. Elle n’est passée ni vite ni lentement, elle peut simplement se matérialiser en nombre de chapitres ou de mots qui les séparent.

19h20, j’entends Adele, Someone like you, Carlotta doit être contente.

19 h 26 : les enfants hurlent.

19 h 35, martelage du plafond, le lustre vibre et sonne. Maintenant, c’est cavalcade incessante, cris, tambourinage, basses d’une musique.

20 h 44, encore Adele, Someone like you, et je me souviens que lorsqu’ils tiennent un truc ils le repassent.

20 h 54, mouvements dans l’escalier. Il y a aussi la Coupe du monde de football. Je regarde à l’œilleton : des parents viennent déjà chercher leur enfant. Le soleil brille encore. C’est un bordel d’événements : la fille ou le garçon joue le ragtime par la fenêtre, les enfants crient, commencent à partir (une seconde fête est prévue, m’a prévenu Frédéric, papa de Kasimir, mais Carlotta a un examen de solfège demain matin), le football, l’anniversaire, l’été, la fête de la musique (?).

Jeudi 12 juin, c’est-à-dire jeudi dernier et non pas hier. Pierre et moi dînons seuls à une table excentrée (?)(disons, pas l’habituelle). Pierre avait un vernissage à Ivry, n’a pu réserver avant 8 heures, et Patrick me confirme le contrat tacite (il y a une petite lutte parfois pour obtenir une place ici (il peut y avoir de l’attente ; des gens abandonnent, partent en maugréant) : si Pierre n’a pas réservé à huit heures, je donne les tables. Anna (Biret) et trois amies Polonaises passent, puis s’installent auprès de nous, avant de déménager pour une autre table ; Alain Bendeks vient nous saluer ; je lui rappelle que la dernière fois que je l’ai vu, on s’est fâchés, mais il ne s’en souvient plus ; nous échangeons quelques informations ; il prend des nouvelles de Francis ; Pierre lui en sert sans sourire. Un autre type passe, et notre table se met à prendre des airs de deuxième bureau. Patrick nous propose ensuite d’autres tables pour finir la soirée, mais je ne me souviens pas si nous avons changé ou pas.

Jeudi 19 juin, hier soir : Pierre pourtant parti à un vernissage vers Opéra est passé et a réservé. Je m’assois à la table, lui téléphone, lui dis de prendre son temps. Pendant dix minutes, sans fumer ni boire, je regarde les gens et c’est agréable. Il fait très beau, le soleil brille. Les bâches de la terrasse ont été ôtées et on sent l’air. Deux jeunes femmes prennent place à côté, et je les écoute discuter de trucs très précis, de sociétés, de marches à suivre, puis regarde autre part. Hélène s’arrête en vélo derrière les petites haies de verdure et me demande si elle peut venir boire un verre. Je suis seul, bah oui. Elle me raconte qu’elle va faire un stage de savonnerie afin de devenir maître savonnier, explique la difficulté, le diplôme, son envie. Marie (Biret) nous rejoint, puis Pierre. Jean-Marie avait prévenu et arrive. Anton passe avec Camille. Il nous montre un livre de photos où l’on reconnaît Camille nue posant ; mais je ne la reconnais pas sur les photos ; Camille a mal à la tête et doit partir. Anton l’accompagne et revient. J’ai lu ses textes pornographiques écrits en russe et traduit par google, et on en parle. Il sort un second livre de photos, édité celui-ci qu’il offre à Pierre ou à Jean-Marie ; ce dernier photographie les photos avec son smartphone, mais il a du mal à tenir les pages et son appareil, alors je lui écarte les pages du livre. Assez rapidement dans la conversation, Jean-Marie, Anton et Pierre discutent de crêtes d’anus ou de plis d’anus, de la définition de la virginité selon Dali, du nombre de plis. Débat sur les khans. Marie puis Jean-Marie partent. (J’écoute Cymbaline tout en écrivant). Il est tard, nous sommes les derniers ; deux serveurs, dont un que j’aime bien (je lui demande son prénom, discute avec lui de l’ouverture prochaine d’un restaurant qu’il monte avec son frère, mais je l’ai oublié), sympathique, tatoué de voiles sans mâts ni coque sur l’intérieur de l’avant-bras gauche, donc lui, et un autre qui me reconnaît maintenant avec gentillesse, et me sert la main, sorte de porcelet, court sur patte, nez rouge et bedon, gourmette, bref, tous deux se sont assis et s’emploient à préparer les menus du lendemain, ôtent des feuilles et les remplacent par d’autres, mais le plastique des lutins accroche le papier, et ça prend du temps (le petit gros de la main gauche tire sur la feuille qui ne vient pas mais vient tout de même et consulte en même temps son téléphone qui a dû vibrer), et ils discutent, et c’est formidable de les voir deviser (je n’entends pas le sujet de leur conversation), c’est la fin de la journée, déjà la nuit, et c’est le XIX ème siècle, les brasseries, l’humanité, ils ont vaincu cette journée. Une dernière bouteille. Un dernier pot. Je n’en peux plus. Nous partons très tard.

Ce matin, je m’aperçois que j’ai oublié un conseil de classe de la veille et cette pensée obstrue les autres pensées déjà lentes. Vers 11 h, Dominique Quélen téléphone, on devait se voir, mais je suis trop fatigué sur le moment, je ne pourrais jamais discuter. Je dois dormir, dors, le rappelle, on se voit vers 15 h. Je le rejoins : il déjeune avec Aurélien Dumont Au Vers luisant, rue de la Verrerie, l’un en face de l’autre, au bord de la terrasse. La rue est très passante de touristes. J’attache mon vélo devant la vitrine de la boutique qui fait face au restaurant ; ils ne m’ont pas vu ; j’avance, les salue et prends place à côté de Dominique. Nous discutons de bourses, de la Villa Médicis (je raconte mes non-exploits). Aurélien s’en va, doit rentrer se changer : ce soir, création d’une de ses oeuvres à Beaubourg. Je change de place pour m’asseoir face à Dominique. La rue apparemment piétonne est empruntée par des vélos, des voitures et des camionnettes qui frôlent la terrasse ; les patrons installent les télés pour les matches de ce soir. Nous parlons de Crime et Châtiment, nous apercevons que nous l’avons relu quasi au même moment, parlons de Dostoïevski, de Tchekov, de Markowicz, d’écriture, de mystique, de Kafka, de Lortholary que j’ai rencontré (Le Château), de Goldschmidt (j’ai lu son éblouissant article dans le Magazine littéraire), de traductions, d’arrêts maladie, de la boulangerie de Laurence, obligée de la vendre, et des complots fomentés dans son dos par la vendeuse même, et le boulanger fou. Je suis très fatigué de la veille, je voudrais que mes idées arrivent vite, mais rien ne vient. Si, le mot imperceptible, qui semble nous convenir.

21 h 05. 21 h 15, il n’y a plus de fête au-dessus, je ne sais pas ce qu’ils fabriquent. Ils regardent le foot. 22h03, non il n’y a plus de fête, c’est foot.

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Dostoïevski : Journal de Raskolnikov : « À droite de la porte cochère, la cour était bordée par le mur de derrière non blanchi d’une maison voisine à quatre étages. Juste à l’entrée, il y avait (comme dans toutes les maisons où habitent les ouvriers, les cochers, les travailleurs) une gouttière en bois ; comme toujours dans des endroits pareils quelqu’un avait inscrit à la craie sur le mur : Défense d( )uriner.

Néanmoins c’était précisément un endroit pour cela. Cela arrive toujours ainsi. C’était bien, ne fût-ce que pour la raison que le fait d’être entré et de m’être arrêté devant la gouttière ne pouvait éveiller aucun soupçon. Je regardai autour de moi pour m’assurer qu’il n’y avait personne. Oui, parfaitement, c’est ici qu’il faut tout jeter en vrac, m’en aller ! »

Dans une autre traduction : le « défense d’uriner » devient « ici on ne passe pas ». Dans une autre, de Crime et Châtiment, deuxième partie, chap.II (traduit par ?, d’un site Atramenta, qui écrit domaine public ! ) :

« Tout le terrain était noirci d’une poussière de charbon qui s’étalait partout. « Voilà un endroit où jeter les objets, puis s’en aller », pensa-t-il. Ne voyant personne autour de lui, il se faufila dans la cour et aperçut tout près de la porte, contre la palissade, une gouttière (comme on en voit souvent dans les bâtiments qui abritent des ateliers). Au-dessus de la gouttière on avait inscrit à la craie, sur la clôture, comme il convient, en pareil cas : « Défense du riné ». C’était déjà un avantage qu’il ne risquât pas d’éveiller les soupçons en s’y arrêtant.

Il songea : « Je pourrais tout jeter ici quelque part et m’en aller. »

Il promena un dernier regard autour de lui et mit la main à sa poche. Mais, à ce moment-là, il remarqua tout à coup près du mur extérieur, entre la porte et la gouttière, une énorme pierre non équarrie qui devait peser une cinquantaine de kilos au moins.  « 

En fait, vérification faite, il s’agit de la traduction de la Pléiade, 1950, p. 153. Je n’ai pas la version de Markowicz sous les yeux pour la comparer, mais je sais qu’elle est différente. En fait, je cherche depuis des années un graffiti recopié tel quel de la rue (?) par Dostoïevski dans un de ses livres (lequel ?) et qui a soulevé des problèmes de traduction. Mais peut-être s’agit-il de ces mots.

J’adore la ou le ou les batucada. Carlotta, par monts et par vaux, toute la journée, avec Kasimir et son copain, à la fête de l’école de Kasimir, gagne des bricoles, va acheter un sac pour l’anniversaire de Julie aujourd’hui, dimanche, avec Chiara, revient, déjeune avec un lance-pierre, repart ; doit faire un ultime exo de math pour lundi, le fait ; la musique, par les fenêtres : il y a une fanfare. Il est décidé que Kasimir redescendra et que nous irons faire un tour tous les trois après dîner ; il redescend, mais nous n’avons pas terminé ; enfin, Carlotta monte le chercher, mais non, dit sa mère, il veut regarder le foot. Carlotta est déçue ; j’ai peine à la sortir, réussis. La fanfare est installée dans la rue d’en face ; elle heurte du genou une borne de Vélib et se fait très mal ; nous rentrons.

remise des prix

18 juin 2014 § Poster un commentaire

Arthur ouvre la voie : 1er prix du scénario d’une émission (de l’argent), reçu la semaine dernière.

Carlotta le seconde : 1er prix d’un concours de la nouvelle organisé avec les élèves de 6ème (un livre et une tablette tactile), reçu ce lundi.

Gabriel, on ne dit rien, admissible, planche pour les oraux.

Chez Carlotta et Arthur, il y a un contentement mal assuré, presque tremblé, encore proche de l’étonnement, de l’étonnement d’eux-mêmes ; de fait, il ne s’agit pas du travail d’une année ou de plusieurs, mais d’un coup.

Saint-Simon, 1705, Pléiade, 1948, tome II, chap. XXVI, pp.444 et ss ; mais tome IV, chap. XXI, dans une autre édition (sans notes), ou bien encore Tome Quatrième, chap. XXVIII, édition Sautelet et Cie, 1829, pp. 332 et ss. Ce qui me fait penser depuis quelque temps que je dois louper de nombreux passages.

« Mme d’Alègre maria en ce même mois sa fille à Rupelmonde, Flamand et colonel dans les troupes d’Espagne, pendant que son mari était employé sur la frontière; elle s’en défit à bon marché, et le duc d’Albe en fit la noce. Elle donna son gendre pour un grand seigneur, et fort riche, à qui elle fit arborer un manteau ducal. Sa fille, rousse comme une vache, avec de l’esprit et de l’intrigue, mais avec une effronterie sans pareille, se fourra à la cour, où avec les sobriquets de la blonde et de vaque-à-tout, parce qu’elle était de toutes foires et marchés, elle s’initia dans beaucoup de choses, fort peu contrainte par la vertu et jouant le plus gros jeu du monde. Ancrée suffisamment, à ce qu’il lui sembla, non contente de son manteau ducal postiche, elle hasarda la housse sur sa chaise à porteurs. Le manteau, quoique nouvellement, c’est-à-dire depuis vingt ou vingt-cinq ans, se souffrait à plusieurs gens, qui n’en tiraient aucun avantage, mais pour la housse, personne n’avait encore jamais osé en prendre sans droit. Celle-ci fit grand bruit, mais ne dura que vingt-quatre heures. Le roi la lui fit quitter avec une réprimande très forte.

Le roi, lassé des lettres de Mme d’Alègre, qui tantôt pour Marly, tantôt pour une place de dame du palais, exaltait sans cesse les grandeurs de son gendre, chargea Torcy de savoir par preuves qui était ce M. de Rupelmonde. Les informations lui arrivèrent prouvées en bonne forme, qui démontrèrent que le père de ce gendre de Mme d’Alègre, après avoir travaillé de sa main aux forges de la véritable dame de Rupelmonde, en était devenu facteur, puis maître, s’y était enrichi, en avait ruiné les possesseurs, et était devenu seigneur de leurs biens et de leurs terres en leur place. Torcy me l’a conté longtemps depuis en propres termes. Mais l’avis était venu trop tard, et avait trouvé Mme de Rupelmonde admise à tout ce que le sont les femmes de qualité. Le roi ne voulut pas faire un éclat.

Jamais je ne vis homme si triste que ce Rupelmonde ni qui ressemblât plus à un garçon apothicaire. Je me souviens qu’un soir que nous étions à Marly, et qu’au sortir du cabinet du roi Mme la duchesse de Bourgogne s’était remise au lansquenet, où était Mme de Rupelmonde qui y coupait, un suisse du salon entra quelques pas et cria fort haut: « Madame Ripilmande, allez coucher; votre mari est au lit qui envoie vous demander. » L’éclat de rire fut universel. Le mari, en effet, avait envoyé chercher sa femme, et le valet, comme un sot, avait dit au suisse la commission, au lieu de demander à parler à Mme de Rupelmonde, et la faire appeler à la porte du salon. Elle ne voulait point quitter le jeu, moitié honteuse, moitié effrontée; mais Mme la duchesse de Bourgogne la fit sortir. Le mari fut tué bientôt après. Le deuil fini, la Rupelmonde intrigua plus que jamais, et à force d’audace et d’insolence, de commodités et d’amourettes, parvint longtemps depuis à être dame du palais de la reine à son mariage, et par une longue et publique habitude avec le comte depuis duc de Grammont, à faire le mariage de son fils unique avec sa fille rousse et cruellement laide, sans un sou de dot. »

Mme de Rupelmonde, par Nicholas Largillière

Voltaire dédiera une épître, Le pour et le contre, à Madame de Rupelmonde, devenue veuve, puis carmélite.

Mots lus

14 juin 2014 § Poster un commentaire

« Rien ne m’est sûr que la chose incertaine
Obscur, fors ce qui est tout évident
Doute ne fais, fors en chose certaine
Science tiens à soudain accident »

François Villon – Extrait de Ballade du concours de Blois

Et encore Flaubert, Tchekov (Platonov).

Francis Bacon

« Il est fréquent que la tension soit complètement changée rien que de la façon dont va un coup de pinceau. Il engendre une forme autre que la forme que vous êtes en train de faire, voilà pourquoi les tableaux seront toujours des échecs soumis au hasard et à la chance, à l’accident, à l’inconscient. Il s’agit alors de l’accepter ou de le refuser. Une nouvelle vérité, insoutenable, surgit : nous sommes libres. » Francis Bacon

Il ne suivait pas en classe. Autant dire qu’il avait du temps pour régler ses petits conflits… changements de joueurs… casse-tête des matches de qualification… Sur une feuille A4 à grands carreaux donnée par son voisin, il traçait le schéma d’un terrain de foot. Une mini boulette de papier : le ballon. Ses doigts écartés, les cages. Penalty, ouaiiiis ! Il s’exclame. Les profs, en tout cas moi, préfèrent qu’il dorme sur son bras. Mais le bras ne veut pas tout le temps, lui fait mal. Il a compris depuis longtemps les cours, leur système, leur matière, et ça ne l’intéresse pas. La vie est trop forte, filtre par la télé, et l’appelle de tous les côtés. Qu’est-ce que c’est que le collège dans ces cas-là ? Une salle d’attente de grandir. Il n’a pris aucune décision, cependant tout le monde pense que si autour de lui, car tout le monde parle de son avenir minable. C’est assez terrible parce qu’il n’a que douze ans.

Un enfant, par la fenêtre, crie et pleure régulièrement, et supplie sa mère, non, maman, non, c’est déchirant de lamentations, de supplications. Il parle, mais je n’entends pas ; ses arguments ne sont pas assez forts quand il les formule. Sa mère reste inflexible. Ça dure. Il est 20 h 24, on est le 16/06/2014. Il pleure encore, parlemente en même temps. Mamannnn. En même temps, dans un immeuble un ou une pianiste joue, apprend, répète le Ragtime de Scott Joplin (une version light : il ou elle ne joue pas les doigts de la main droite en octave). Les éboueurs viennent de passer. 20 h 32, le ragtime continue, l’enfant s’est tu. Oui, maintenant, il n’y a plus que le piano et au loin la benne. 20 h 36, plus rien, la ville, les voitures un peu. Hier, il s’agissait de lourdes rumeurs (l’équipe de France était engagée dans son premier match de la coupe du monde de football). J’entends de nouveau l’enfant, il hurle du fond de la gorge, s’époumone. Il a forcément raison. 20 h 39. Une voix d’homme qui dit arrête, arrête. L’enfant appelle maman ! Qu’est-ce que les parents lui ont proposé pour le lui retrancher ensuite ? Quelle loi n’a-t-il pas comprise ? La douche, les épinards, l’heure de dormir ? 20 h 43, plus rien. Pourquoi suis-je sensible à ses cris ?

Reprise : mercredi, 10h32, cris de l’enfant aux prises avec sa mère. Impossible d’aller en cours ce matin, insomnie.

Son amour était si fort. J’étais le ciel quand elle me regardait. Un immeuble neuf. Et il aurait pu pleuvoir dessus par trombes, j’aurais abrité l’intact. Un amour qui permet de se lancer en poésie, de jeter des métaphores et de retomber toujours sur ses pieds. J’étais le plus beau et ça durait. Sans cause ni conséquence. Tout allait de soi, sans subordonnées. Tu veux un café ? Oh oui ! L’ample perspective du café et des jours sans autre emploi que l’amour. Évidemment, c’était réciproque. Et nous le savions.

Nous ne nous étions pas rencontrés. L’amour nous avait arrachés à des vies que nous menions sans savoir. Arrachés ?! non, enlevés, cueillis, saisis, non. En plus, c’est important. Appelés ? convoqués ? distraits ? J’avais, paraît-il, souvent… aux prises avec des apparences, et ce nouvel état me faisait tout oublier. Nous étions drôles avec sérieux et prenions les drames, tournions les drames…

Dimanche dans l’Eure

9 juin 2014 § Poster un commentaire

Salon du Livre de Verneuil-sur-Avre, hier. Toute la journée, j’essaie de trouver un lieu pour fermer les yeux et me reposer. Dans le train, une femme s’assied à mes côtés et entretient une discussion avec une autre de l’autre côté du couloir. Je profite d’aller aux toilettes pour repérer d’autres places, reviens prend mon sac et m’installe à l’écart. Je ferme les yeux. Mais le journaliste Jean-François Kahn vient s’asseoir juste devant, dans un carré vide, aussitôt suivi d’une équipe de deux personnes (caméraman et preneur de son) et une interview commence. Toute la journée, dans tous ses mouvements, il sera suivi, filmé. Ils tournent un documentaire sur lui. Du train, il disserte très vite, se souvient l’avoir pris de nombreuses fois, en connaît l’historique illustre puisqu’il s’agit d’un des premiers trains de France ; caméra éteinte, il évoque un cru, sa cave, des vins avec l’intervieweur. Nous sortons de la gare en groupe lentement, sommes accueillis par des dames et des messieurs, des voitures, trois cyclistes âgés en tenue de couleurs vives arrêtés en haie, une Rolls. Il y a parmi nous, on les reconnaît, on les attend, on leur sourit, des célébrités dont les noms courent : Michel Hidalgo, l’ancien entraîneur de l’équipe de France de football, l’ancien médecin du Tour de France, un commentateur de matches de football, à la retraite lui aussi, d’autres sans doute, qu’un ou deux photographes traquent déjà. A son invitation, je suis une première dame qui dispose encore d’une place dans sa voiture, mais une femme s’impose ; je change et suis emmené dans une petite auto bleu marine à destination de l’abbaye Saint-Nicolas, magnifique ensemble de bâtiments devancé par une prairie où sont garées des voitures ; verneuil stnicolas04devant cette porte d’entrée, des gens patientent et une haie d’honneur composée de l’équipe cadette ou junior de football de la ville, la main levée avec un ballon, attend les vedettes. L’arrivée de notre groupe, bien que totalement disjoint maintenant par le transfert en voiture, marque le début de cette journée. C’est juin, et l’odeur d’herbe, la chaleur, le soleil derrière les nuages, les endimanchements de chacun, rappellent les communions : raison de ma venue, j’avais envie de sentir la Normandie, d’apercevoir des gens qui ressemblent à mes oncles et tantes, à mes cousines et cousins, des mères parfois la mienne.

verneuil_abbaye013a2

Exposition de peintures, de sculptures dans le déambulatoire de l’abbaye, souvent en présence des artistes. Café (j’en bois trois) et croissants (deux)  dans le réfectoire. Je visite seul les cuisines, vieux plâtres, hauts plafonds, placards dans les murs, vieilles portes, ancien interrupteur électrique. Plusieurs salles accueillent les auteurs de livres. Je fais un tour. Quelques écrivains se plaignent de n’avoir pas autant de public que celui de la salle capitulaire où signent Jean-François Kahn, Michel Hidalgo et un comédien également arrivé plus tard Bruno Putzulu.

Verneuil-salle capitulaire

Nous sommes assis à la place même des moines, devant des tables tendues d’une nappe rouge, avec piles de livres, photo et une enveloppe qui contient un bon pour le repas du midi et une boîte de chocolats ronds et plats fermée d’un bandeau frappé de 70 ème anniversaire de la Bataille de Normandie. Ma voisine de gauche est absente, ne viendra pas ; sur ma droite, la place a été laissée vacante pour aérer sans doute ; puis deux autres écrivains l’un à côté de l’autre, Isabelle R. et Julien C. Je me lève souvent. Je discute avec Marie C., avec laquelle je déjeunerai en compagnie de Cécile C. Le repas est prévu à 12 h 30. L’ennui, né de la fatigue sans doute, fait qu’à l’heure exacte je prends la direction du réfectoire ; une file d’attente s’est déjà formée. Enfin, nous entrons. De grandes tables rondes ou carrées. J’élis la plus petite, de quatre, tout au fond, près des fenêtres qui donnent sur un jardin ensoleillé. Marie C., puis, sa voisine de la salle capitulaire, Cécile C. se joignent à moi. Cette dernière multiplie les intérêts et j’ai peine maintenant à me souvenir de ses activités que je dois mélanger : médailles françaises et allemandes de la Première Guerre mondiale, vice-présidente de l’association Marie-Antoinette, historienne, auteure d’une histoire du camouflage, restauratrice de peintures murales en Campanie, membre ou présidente d’une association des danses macabres. J’en oublie ; c’est formidable. Après le café, je cherche un endroit agréable pour fumer. Le jardin du cloître est ouvert. Il fait soleil. Marie C. m’accompagne et raconte le projet d’un texte de fiction ou de biographie, elle ne sait pas encore, fondé sur des événements de la Seconde Guerre mondiale qui, surtout, impliquent des membres de sa famille.

Les activités. Ici, se définit une nouvelle conception du livre, témoignage, service rendu, il est tourné vers la communauté qu’il doit servir coûte que coûte et à tous les niveaux. Son prix de vente rétribue un talent attendu, une valeur réclamée. Et l’écrivain doit être à la hauteur, payer de sa personne, tenir son rang. Ce genre de kermesse (Rotary…) est un défilé, chacun à sa place, vient confirmer son statut social. En tank artiste, l’écrivain vient faire l’intéressant.

(Photos issues de sites divers l’AMSE, Les Amis de Bernay)

Comme je cherchais un coin pour me reposer et manquais à ma place, j’ai loupé la libraire qui m’attendait en fait et à laquelle je signerai le seul exemplaire. A la gare, à Paris, le matin, la femme qui avait le billet collectif me dit bonjour, je ne suis rien.

Je pars boire un café dans le centre (1,30 en terrasse). Fête foraine sur la place de la Madeleine. Je me lève aux premières gouttes de pluie, voudrais visiter l’église mais elle paraît fermée. Il pleut beaucoup ; je m’abrite tous les cinquante mètres puis reste dix minutes à attendre une accalmie sous le petit auvent d’une maison, regarde le caniveau, les nuages. C’est en fin d’après-midi que je regarde l’heure très souvent. Je discute avec mes voisins Isabelle et Julien qui s’y entendent pour attirer des clients. Je dis par manière de rire que je sais où tous les gens sont aujourd’hui, au centre, à la fête. Pas du tout, ce n’est pas le même public, me fait-on (qui ? j’ai oublié).

Réflexion de deux femmes se promenant dans le cloître où j’essaye de dormir mal assis sur le rebord d’une ouverture : ils auraient pu nettoyer, et tondre. Des promeneurs redressent les roses, les sentent. (moment proustien : Saint-Simon évoque Louis XIV et des courtisans écourtant ou changeant de promenade, incommodés par les parterres de tubéreuses, plantées à foison dans certains carrés pour le passage du monarque).

Le train de retour est annulé ; il faut attendre une heure supplémentaire et retourner boire un verre dans un café du centre. Une dame menue, toute la journée en robe de cocktail, nous y conduit. La pluie a eu raison de la fête foraine qui bâche ses machines ; de toute façon, il est trop tard ou bien c’est l’heure de dîner.

Je ne sais pas si venir ici est une sottise. Ou bien je ne le sais pas encore. Ou bien je le sais pertinemment. Ou bien je ne le saurai jamais. Ici s’entend pour Verneuil et cette page. Remarque : ici comme ailleurs personne ne me voit. Dans le train : les deux femmes qui discutent alors que j’ai les yeux fermés ; au réfectoire : une femme vient prendre la chaise à côté de moi, puis l’assiette et les couverts pour s’asseoir à une autre tablée ; dans la salle capitulaire : les gens défilent, saisissent le livre, le reposent, passent ; à la gare : groupe de trois au complet pour monter en voiture avec le chauffeur, une autre femme s’avance.

Consigner à grands traits la journée, comme poser une nappe, de quoi nourrir et susciter le souvenir en relisant.

Rester la main sur la poignée, expression…  — Un briquet, expression qui… — Se tromper de chaussure — faire la cheminée — manquer d’encre —

titre facultatif

6 juin 2014 § Poster un commentaire

Hier, plus tôt, je prends le chemin du Chai pour rejoindre Pierre, approche de l’établissement, ne l’y aperçois pas, téléphone en regardant une vitrine de bouteilles d’huiles d’olives, entend une sonnerie derrière moi ; en fait, Pierre est là. Nous regagnons le Mazarin lentement en devisant ; je lui apprends la mort de Daniel Vachez, lui demande en même temps s’ils n’étaient pas, tous deux, en froid ; Pierre m’assure que non. Nous apercevons Youri dans sa galerie, furieux contre sa mère qui, assise, subit le couplet avec un sourire entendu, résigné. Notre table nous attend. Des huit couverts prévus, nous prévenons Patrick qu’il peut en céder quatre. Pierre raconte ses derniers travaux, comment il a conçu la désinstallation de Bernar Venet, en oeuvrant sur le D qui manque au prénom. Nous rigolons ; je lui fais part de perles d’élèves. Non, non. Nous discutons et nous apercevons que nous réservons trop de tables (nous avons joint Jean-Marie qui ne viendra pas), bref, nous appelons Patrick qui n’est pas disponible et nous délègue un nouveau serveur ; Pierre le renvoie d’un revers, dit non, nous voulons parler à Patrick, auquel nous recommandons de disposer des tables du fond. Celui-ci nous annonce qu’Anna (Biret) est passée. D’ailleurs, elle arrive, suivie de près par Marie (Binet) et nous dînons. MarIe me dit que je devrais raconter l’histoire de ma rencontre des Putman à New York, il y a presque trente ans. Ricardo (Mosner) nous rejoint, prend place en bout de table, à son habitude. Les filles s’en vont et il est une heure du matin lorsque nous partons. Mon vélo connaît le chemin, dit Pierre. Ricardo connaissait Ged Marlon et Farid Chopel. Nous avons tant bondi sur les sujets que je ne me souviens pas comment nous en sommes venus à les évoquer. Miss Tic vient saluer Ricardo, parle.

Brève sieste, puis vélo jusqu’à la libraire Vendredi. J’y reste une heure et quelques et nous discutons de recettes de cuisine et surtout de notre façon de faire la cuisine, de l’attention aux choses, de l’ergonomie. Gil et Hélène vont se retirer. Elles remarquent qu’il y a plein de gens qui soulignent qu’ils les savaient là et que c’était bien. Le boucher en bas de la rue Richer où nous allions a fermé : panneau A louer sur la vitrine. Qui me rappelle la boucherie de la rue Cadet : le boucher et sa femme partent à la retraite et se suicident dans l’année. Pochoir de Mis Tic dans l’album Pléiade de Marguerite Duras.

Mémoires de Saint-Simon, année 1702, chap.III.

Cette princesse d’Harcourt fut une sorte de personnage qu’il est bon de faire connaître, pour faire connaître plus particulièrement une cour qui ne laissait pas d’en recevoir de pareils. Elle avait été fort belle et galante; quoiqu’elle ne fût pas vieille, les grâces et la beauté s’étaient tournées en gratte-cul. C’était alors une grande et grosse créature, fort allante, couleur de soupe au lait, avec de grosses et vilaines lippes, et des cheveux de filasse toujours sortants et traînants comme tout son habillement. Sale, malpropre, toujours intriguant, prétendant, entreprenant, toujours querellant et toujours basse comme l’herbe, ou sur l’arc-en-ciel, selon ceux à qui elle avait affaire; c’était une furie blonde, et de plus une harpie; elle en avait l’effronterie, la méchanceté, la fourbe et la violence; elle en avait l’avarice et l’avidité; elle en avait encore la gourmandise et la promptitude à s’en soulager, et mettait au désespoir ceux chez qui elle allait dîner, parce qu’elle ne se faisait faute de ses commodités au sortir de table, qu’assez souvent elle n’avait pas loisir de gagner, et salissait le chemin d’une effroyable traînée, qui l’ont mainte fois fait donner au diable par les gens de Mme du Maine et de M. le Grand. Elle ne s’en embarrassait pas le moins du monde, troussait ses jupes et allait son chemin, puis revenait disant qu’elle s’était trouvée mal: on y était accoutumé.

Elle faisait des affaires à toutes mains, et courait autant pour cent francs que pour cent mille; les contrôleurs généraux ne s’en défaisaient pas aisément; et, tant qu’elle pouvait, trompait les gens d’affaires pour en tirer davantage. Sa hardiesse à voler au jeu était inconcevable, et cela ouvertement. On l’y surprenait, elle chantait pouille et empochait; et comme il n’en était jamais autre chose, on la regardait comme une harengère avec qui on ne voulait pas se commettre, et cela en plein salon de Marly, au lansquenet, en présence de Mgr et de Mme la duchesse de Bourgogne. À d’autres jeux, comme l’hombre, etc., on l’évitait, mais cela ne se pouvait pas toujours; et comme elle y volait aussi tant qu’elle pouvait, elle ne manquait jamais de dire à la fin des parties qu’elle donnait ce qui pouvait n’avoir pas été de bon jeu et demandait aussi qu’on le lui donnât, et s’en assurait sans qu’on lui répondît. C’est qu’elle était grande dévote de profession et comptait de mettre ainsi sa conscience en sûreté, parce que, ajoutait-elle, dans le jeu il y a toujours quelque méprise. Elle allait à toutes les dévotions et communiait incessamment, fort ordinairement après avoir joué jusqu’à quatre heures du matin.

Un jour de grande fête à Fontainebleau, que le maréchal de Villeroy était en quartier, elle alla voir la maréchale de Villeroy entre vêpres et le salut. De malice, la maréchale lui proposa de jouer, pour lui faire manquer le salut. L’autre s’en défendit, et dit enfin que Mme de Maintenon y devait aller. La maréchale insiste, et dit que cela était plaisant, comme si Mme de Maintenon pouvait voir et remarquer tout ce qui serait ou ne serait pas à la chapelle. Les voilà au jeu. Au sortir du salut, Mme de Maintenon, qui presque jamais n’allait nulle part, s’avise d’aller voir la maréchale de Villeroy, devant l’appartement de qui elle passait au pied de son degré. On ouvre la porte et on l’annonce; voilà un coup de foudre pour la princesse d’Harcourt. « Je suis perdue, s’écria-t-elle de toute sa force, car elle ne pouvait se retenir; elle me va voir jouant, au lieu d’être au salut, » laisse tomber ses cartes, et soi-même dans son fauteuil tout éperdue. La maréchale riait de tout son coeur d’une aventure si complète. Mme de Maintenon entre lentement, et les trouve en cet état avec cinq ou six personnes. La maréchale de Villeroy, qui avait infiniment d’esprit, lui dit qu’avec l’honneur qu’elle lui faisait, elle causait un grand désordre; et lui montre la princesse d’Harcourt en désarroi. Mme de Maintenon sourit avec une majestueuse bonté, et s’adressant à la princesse d’Harcourt: « Est-ce comme cela, lui dit-elle, madame, que vous allez au salut aujourd’hui? » Là-dessus la princesse d’Harcourt sort en furie de son espèce de pâmoison; dit que voilà des tours qu’on lui fait, qu’apparemment Mme la maréchale de Villeroy se doutait bien de la visite de Mme de Maintenon, et que c’est pour cela qu’elle l’a persécutée de jouer, pour lui faire manquer le salut. « Persécutée! répondit la maréchale, j’ai cru ne pouvoir vous mieux recevoir qu’en vous proposant un jeu; il est vrai que vous avez été un moment en peine de n’être point vue au salut, mais le goût l’a emporté. Voilà, madame, s’adressant à Mme de Maintenon, tout mon crime, » et de rire tous, plus fort qu’auparavant. Mme de Maintenon, pour faire cesser la querelle, voulut qu’elles continuassent de jouer; la princesse d’Harcourt, grommelant toujours, et toujours éperdue, ne savait ce qu’elle faisait, et la furie redoublait de ses fautes. Enfin, ce fut une farce qui divertit toute la cour plusieurs jours, car cette belle princesse était également crainte, haïe et méprisée.

Mgr [le duc] et Mme la duchesse de Bourgogne lui faisaient des espiègleries continuelles. Ils firent mettre un jour des pétards tout du long de l’allée qui, du château de Marly, va à la perspective, où elle logeait. Elle craignait horriblement tout. On attira deux porteurs pour se présenter à la porter lorsqu’elle voulut s’en aller. Comme elle fut vers le milieu de l’allée, tout le salon à la porte pour voir le spectacle; les pétards commencèrent à jouer, elle à crier miséricorde, et les porteurs à la mettre à terre et à s’enfuir. Elle se débattait dans cette chaise, de rage à la renverser, et criait comme un démon. La compagnie accourut pour s’en donner le plaisir de plus près, et l’entendre chanter pouille à tout ce qui s’en approchait, à commencer par Mgr [le duc] et Mme la duchesse de Bourgogne. Une autre fois ce prince lui accommoda un pétard sous son siège, dans le salon où elle jouait au piquet. Comme il y allait mettre le feu, quelque âme charitable l’avisa que ce pétard l’estropierait, et l’empêcha.

Quelquefois ils lui faisaient entrer une vingtaine de Suisses avec des tambours dans sa chambre, qui l’éveillaient dans son premier somme avec ce tintamarre. Une autre fois, et ces scènes étaient toujours à Marly, on attendit fort tard qu’elle fût couchée et endormie. Elle logeait ce voyage-là dans le château, assez près du capitaine des gardes en quartier qui était lors M. le maréchal de Lorges. Il avait fort neigé et il gelait; Mme la duchesse de Bourgogne et sa suite prirent de la neige sur la terrasse qui est autour du haut du salon, et de plain-pied à ces logements hauts, et, pour sien mieux fournir, éveillèrent les gens du maréchal, qui ne les laissèrent pas manquer de pelotes; puis, avec un passe-partout et des bougies, se glissent doucement dans la chambre de la princesse d’Harcourt, et, tirant tout d’un coup les rideaux, l’accablent de pelotes de neige. Cette sale créature au lit, éveillée en sursaut, froissée et noyée de neige sur les oreilles et partout, échevelée, criant à pleine tête, et remuant comme une anguille, sans savoir où se fourrer, fut un spectacle qui les divertit plus d’une demi-heure, en sorte que la nymphe nageait dans son lit, d’où l’eau découlant de partout noyait toute la chambre. Il y avait de quoi la faire crever. Le lendemain elle bouda; on s’en moqua d’elle encore mieux.

Ces bouderies lui arrivaient quelquefois, ou quand les pièces étaient trop fortes, ou quand M. le Grand l’avait malmenée. Il trouvait avec raison qu’une personne qui portait le nom de Lorraine ne se devait pas mettre sur ce pied de bouffonne; et comme il était brutal, il lui disait quelquefois en pleine table les dernières horreurs, et la princesse d’Harcourt se mettait à pleurer, puis rageait et boudait. Mme la duchesse de Bourgogne faisait alors semblant de bouder aussi, et s’en divertissait. L’autre n’y tenait pas longtemps, elle venait ramper aux reproches, qu’elle n’avait plus de bontés pour elle, et en venait jusqu’à pleurer, demander pardon d’avoir boudé, et prier qu’on ne cessât plus de s’amuser avec elle. Quand on l’avait bien fait craqueter, Mme la duchesse de Bourgogne se laissait toucher; c’était pour lui faire pis qu’auparavant; tout était bon de Mme la duchesse de Bourgogne auprès du roi et de Mme de Maintenon, et la princesse d’Harcourt n’avait point de ressource; elle n’osait même se prendre à aucunes de celles qui aidaient à la tourmenter, mais d’ailleurs il n’eût pas fait bon la fâcher.

Elle payait mal ou point ses gens, qui un beau jour de concert l’arrêtèrent sur le pont Neuf. Le cocher descendit et les laquais, qui lui vinrent dire mots nouveaux à sa portière. Son écuyer et sa femme de chambre l’ouvrirent, et tous ensemble s’en allèrent et la laissèrent devenir ce qu’elle pourrait. Elle se mit à haranguer ce qui s’était amassé là de canaille, et fut trop heureuse de trouver un cocher de louage, qui monta sur son siège et la mena chez elle. Une autre fois, Mme de Saint-Simon, revenant dans sa chaise de la messe aux Récollets, à Versailles, rencontra la princesse d’Harcourt à pied dans la rue, seule, en grand habit, tenant sa queue dans ses bras. Mme de Saint-Simon arrêta, et lui offrit secours: c’est que tous ses gens l’avaient abandonnée, et lui avaient fait le second tome du pont Neuf, et pendant leur désertion dans la rue, ceux qui étaient restés chez elle s’en étaient allés; elle les battait, et était forte et violente, et changeait de domestique tous les jours.

Elle prit, entre autres, une femme de chambre forte et robuste, à qui, dès les premières journées, elle distribua force tapes et soufflets. La femme de chambre ne dit mot, et comme il ne lui était rien dû, n’étant entrée que depuis cinq ou six jours, elle donna le mot aux autres, de qui elle avait su l’air de la maison, et un matin qu’elle était seule dans la chambre de la princesse d’Harcourt, et qu’elle avait envoyé son paquet dehors, elle ferme la porte en dedans sans qu’elle s’en aperçût; répond à se faire battre, comme elle l’avait déjà été, et au premier soufflet, saute sur la princesse d’Harcourt, lui donne cent soufflets et autant de coups de poing et de pied, la terrasse, la meurtrit depuis les pieds jusqu’à la tête, et quand elle l’a bien battue à son aise et à son plaisir, la laisse à terre toute déchirée, et tout échevelée, hurlant à pleine tête, ouvre la porte, la ferme dehors à double tour, gagne le degré, et sort de la maison.

C’était tous les jours des combats et des aventures nouvelles. Ses voisines à Marly disaient qu’elles ne pouvaient dormir au tapage de toutes les nuits, et je me souviens qu’après une de ces scènes tout le monde allait voir la chambre de la duchesse de Villeroy et celle de Mme d’Espinoy, qui avaient mis leur lit tout au milieu, et qui contaient leurs veilles à tout le monde. Telle était cette favorite de Mme de Maintenon, si insolente et si insupportable à tout le monde, et qui avec cela, pour ce qui la regardait, avait toute faveur et préférence, et qui, en affaires de finances et en fils de famille et autres gens qu’elle a ruinés, avait gagné des trésors et se faisait craindre à la cour et ménager jusque par les princesses et les ministres. Reprenons le sérieux.

Nulle complaisance, ni fascination (vite dit) à rapporter. Discours d’enfants, histoires de riches, anecdotes du passé, l’épaisseur du contenu seul et sa ligne de fuite et son montage et son opiniâtreté consciente, mais invisible, ce qui meurt dans le résumé. Ne surnagent que les frasques des phrases agencées. Hum.

Mal localisée par la petite annonce immobilière, puis mal renseignée par l’agent, la maison qu’ils cherchent pourtant à visiter, bien qu’ils n’aient pas le premier argent pour pouvoir l’acheter, ils mettent, à mesure, un point d’honneur à l’atteindre. Il fait beau. C’est dans le Lot. Ils se perdent, retournent sur le territoire de la commune qu’ils dépassent tout le temps, empruntant des routes qui continuent. Il faut faire marche arrière. Enfin, ils s’arrêtent dans le bourg, descendent de voiture. Lui, va au café-tabac demander. Il achète d’ailleurs le dernier paquet de Gitanes sans filtre à l’ancien format (les normes européennes ont réduit leur diamètre ; il faudra attendre New York et Andrée Putman (qui les a achetées au Canada) pour en refumer une de ce calibre (non, ça ne va pas, A.D., c’était bien avant (il ne s’explique pas ces sautes de temps)), c’est dire s’ils sont loin des villes, c’est dire s’il y a peu de monde ici. Elle, rencontre une gendarme qui accepte de leur ouvrir la route vers la maison qu’elle croit identifier. Ils empruntent une départementale, en sortent, un sentier, puis roulent dans un champ, la gendarme s’arrête, descend de son véhicule, interroge un paysan, repart, enfin ils atteignent un sous-bois, laissent les voitures ; à pied, tous trois finissent par rejoindre un beau corps de bâtiment en ruines et sa bergerie attenante. C’est ça. Le soleil joue dans les hautes herbes. Ils remercient la gendarme qui repart et marchent sur la colline, font le tour des maisons. Mais même à ce prix, c’est trop cher : ils n’ont pas d’argent. Ils visitaient. Que cherchaient-ils cependant ? Se rendre compte de quoi ? Des possibilités ? D’un coup de foudre ? L’un attendait peut-être de l’autre l’élan, la révélation, un engagement, une perdition (août 1993 ou 1994).

Pourquoi les couleurs du passé sont-elles souvent surexposées ? Parce que c’était l’été. Hum.

Stefanie Schneider 800404-7

Stefanie Schneider

Très longtemps le souvenir d’une gare blanche, très blanche. Le souvenir est perdu maintenant, ne reste que le souvenir de l’avoir demandé à ma mère qui répondait que ce ne pouvait être que la gare d’Argelès. J’avais deux ou trois ans. Les chances de mettre un nom sur le lieu et de confiner le souvenir dans un écrin stable sont réduites à rien maintenant. Je ne saurai jamais.

Michel Foucault
INTRODUCTION À LA VIE NON-FASCISTE
Préface à la traduction américaine de l’Anti-Œdipe (1977)

En rendant un modeste hommage à saint François de Sales, on pourrait dire que L’Anti-Oedipe est une introduction à la vie non fasciste.
Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de la vie quotidienne :

• Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante.
• Faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale.
• Affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune) que la pensée occidentale a si longtemps tenu sacré en tant que forme de pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniformité, les flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade.
• N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire.
• N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de Vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique.
• N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse les « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement, l’agencement de combinaisons différentes. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation ».
• Ne tombez pas amoureux du pouvoir.

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