Dimanche dans l’Eure

9 juin 2014 § Poster un commentaire

Salon du Livre de Verneuil-sur-Avre, hier. Toute la journée, j’essaie de trouver un lieu pour fermer les yeux et me reposer. Dans le train, une femme s’assied à mes côtés et entretient une discussion avec une autre de l’autre côté du couloir. Je profite d’aller aux toilettes pour repérer d’autres places, reviens prend mon sac et m’installe à l’écart. Je ferme les yeux. Mais le journaliste Jean-François Kahn vient s’asseoir juste devant, dans un carré vide, aussitôt suivi d’une équipe de deux personnes (caméraman et preneur de son) et une interview commence. Toute la journée, dans tous ses mouvements, il sera suivi, filmé. Ils tournent un documentaire sur lui. Du train, il disserte très vite, se souvient l’avoir pris de nombreuses fois, en connaît l’historique illustre puisqu’il s’agit d’un des premiers trains de France ; caméra éteinte, il évoque un cru, sa cave, des vins avec l’intervieweur. Nous sortons de la gare en groupe lentement, sommes accueillis par des dames et des messieurs, des voitures, trois cyclistes âgés en tenue de couleurs vives arrêtés en haie, une Rolls. Il y a parmi nous, on les reconnaît, on les attend, on leur sourit, des célébrités dont les noms courent : Michel Hidalgo, l’ancien entraîneur de l’équipe de France de football, l’ancien médecin du Tour de France, un commentateur de matches de football, à la retraite lui aussi, d’autres sans doute, qu’un ou deux photographes traquent déjà. A son invitation, je suis une première dame qui dispose encore d’une place dans sa voiture, mais une femme s’impose ; je change et suis emmené dans une petite auto bleu marine à destination de l’abbaye Saint-Nicolas, magnifique ensemble de bâtiments devancé par une prairie où sont garées des voitures ; verneuil stnicolas04devant cette porte d’entrée, des gens patientent et une haie d’honneur composée de l’équipe cadette ou junior de football de la ville, la main levée avec un ballon, attend les vedettes. L’arrivée de notre groupe, bien que totalement disjoint maintenant par le transfert en voiture, marque le début de cette journée. C’est juin, et l’odeur d’herbe, la chaleur, le soleil derrière les nuages, les endimanchements de chacun, rappellent les communions : raison de ma venue, j’avais envie de sentir la Normandie, d’apercevoir des gens qui ressemblent à mes oncles et tantes, à mes cousines et cousins, des mères parfois la mienne.

verneuil_abbaye013a2

Exposition de peintures, de sculptures dans le déambulatoire de l’abbaye, souvent en présence des artistes. Café (j’en bois trois) et croissants (deux)  dans le réfectoire. Je visite seul les cuisines, vieux plâtres, hauts plafonds, placards dans les murs, vieilles portes, ancien interrupteur électrique. Plusieurs salles accueillent les auteurs de livres. Je fais un tour. Quelques écrivains se plaignent de n’avoir pas autant de public que celui de la salle capitulaire où signent Jean-François Kahn, Michel Hidalgo et un comédien également arrivé plus tard Bruno Putzulu.

Verneuil-salle capitulaire

Nous sommes assis à la place même des moines, devant des tables tendues d’une nappe rouge, avec piles de livres, photo et une enveloppe qui contient un bon pour le repas du midi et une boîte de chocolats ronds et plats fermée d’un bandeau frappé de 70 ème anniversaire de la Bataille de Normandie. Ma voisine de gauche est absente, ne viendra pas ; sur ma droite, la place a été laissée vacante pour aérer sans doute ; puis deux autres écrivains l’un à côté de l’autre, Isabelle R. et Julien C. Je me lève souvent. Je discute avec Marie C., avec laquelle je déjeunerai en compagnie de Cécile C. Le repas est prévu à 12 h 30. L’ennui, né de la fatigue sans doute, fait qu’à l’heure exacte je prends la direction du réfectoire ; une file d’attente s’est déjà formée. Enfin, nous entrons. De grandes tables rondes ou carrées. J’élis la plus petite, de quatre, tout au fond, près des fenêtres qui donnent sur un jardin ensoleillé. Marie C., puis, sa voisine de la salle capitulaire, Cécile C. se joignent à moi. Cette dernière multiplie les intérêts et j’ai peine maintenant à me souvenir de ses activités que je dois mélanger : médailles françaises et allemandes de la Première Guerre mondiale, vice-présidente de l’association Marie-Antoinette, historienne, auteure d’une histoire du camouflage, restauratrice de peintures murales en Campanie, membre ou présidente d’une association des danses macabres. J’en oublie ; c’est formidable. Après le café, je cherche un endroit agréable pour fumer. Le jardin du cloître est ouvert. Il fait soleil. Marie C. m’accompagne et raconte le projet d’un texte de fiction ou de biographie, elle ne sait pas encore, fondé sur des événements de la Seconde Guerre mondiale qui, surtout, impliquent des membres de sa famille.

Les activités. Ici, se définit une nouvelle conception du livre, témoignage, service rendu, il est tourné vers la communauté qu’il doit servir coûte que coûte et à tous les niveaux. Son prix de vente rétribue un talent attendu, une valeur réclamée. Et l’écrivain doit être à la hauteur, payer de sa personne, tenir son rang. Ce genre de kermesse (Rotary…) est un défilé, chacun à sa place, vient confirmer son statut social. En tank artiste, l’écrivain vient faire l’intéressant.

(Photos issues de sites divers l’AMSE, Les Amis de Bernay)

Comme je cherchais un coin pour me reposer et manquais à ma place, j’ai loupé la libraire qui m’attendait en fait et à laquelle je signerai le seul exemplaire. A la gare, à Paris, le matin, la femme qui avait le billet collectif me dit bonjour, je ne suis rien.

Je pars boire un café dans le centre (1,30 en terrasse). Fête foraine sur la place de la Madeleine. Je me lève aux premières gouttes de pluie, voudrais visiter l’église mais elle paraît fermée. Il pleut beaucoup ; je m’abrite tous les cinquante mètres puis reste dix minutes à attendre une accalmie sous le petit auvent d’une maison, regarde le caniveau, les nuages. C’est en fin d’après-midi que je regarde l’heure très souvent. Je discute avec mes voisins Isabelle et Julien qui s’y entendent pour attirer des clients. Je dis par manière de rire que je sais où tous les gens sont aujourd’hui, au centre, à la fête. Pas du tout, ce n’est pas le même public, me fait-on (qui ? j’ai oublié).

Réflexion de deux femmes se promenant dans le cloître où j’essaye de dormir mal assis sur le rebord d’une ouverture : ils auraient pu nettoyer, et tondre. Des promeneurs redressent les roses, les sentent. (moment proustien : Saint-Simon évoque Louis XIV et des courtisans écourtant ou changeant de promenade, incommodés par les parterres de tubéreuses, plantées à foison dans certains carrés pour le passage du monarque).

Le train de retour est annulé ; il faut attendre une heure supplémentaire et retourner boire un verre dans un café du centre. Une dame menue, toute la journée en robe de cocktail, nous y conduit. La pluie a eu raison de la fête foraine qui bâche ses machines ; de toute façon, il est trop tard ou bien c’est l’heure de dîner.

Je ne sais pas si venir ici est une sottise. Ou bien je ne le sais pas encore. Ou bien je le sais pertinemment. Ou bien je ne le saurai jamais. Ici s’entend pour Verneuil et cette page. Remarque : ici comme ailleurs personne ne me voit. Dans le train : les deux femmes qui discutent alors que j’ai les yeux fermés ; au réfectoire : une femme vient prendre la chaise à côté de moi, puis l’assiette et les couverts pour s’asseoir à une autre tablée ; dans la salle capitulaire : les gens défilent, saisissent le livre, le reposent, passent ; à la gare : groupe de trois au complet pour monter en voiture avec le chauffeur, une autre femme s’avance.

Consigner à grands traits la journée, comme poser une nappe, de quoi nourrir et susciter le souvenir en relisant.

Rester la main sur la poignée, expression…  — Un briquet, expression qui… — Se tromper de chaussure — faire la cheminée — manquer d’encre —

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