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14 juin 2014 § Poster un commentaire

« Rien ne m’est sûr que la chose incertaine
Obscur, fors ce qui est tout évident
Doute ne fais, fors en chose certaine
Science tiens à soudain accident »

François Villon – Extrait de Ballade du concours de Blois

Et encore Flaubert, Tchekov (Platonov).

Francis Bacon

« Il est fréquent que la tension soit complètement changée rien que de la façon dont va un coup de pinceau. Il engendre une forme autre que la forme que vous êtes en train de faire, voilà pourquoi les tableaux seront toujours des échecs soumis au hasard et à la chance, à l’accident, à l’inconscient. Il s’agit alors de l’accepter ou de le refuser. Une nouvelle vérité, insoutenable, surgit : nous sommes libres. » Francis Bacon

Il ne suivait pas en classe. Autant dire qu’il avait du temps pour régler ses petits conflits… changements de joueurs… casse-tête des matches de qualification… Sur une feuille A4 à grands carreaux donnée par son voisin, il traçait le schéma d’un terrain de foot. Une mini boulette de papier : le ballon. Ses doigts écartés, les cages. Penalty, ouaiiiis ! Il s’exclame. Les profs, en tout cas moi, préfèrent qu’il dorme sur son bras. Mais le bras ne veut pas tout le temps, lui fait mal. Il a compris depuis longtemps les cours, leur système, leur matière, et ça ne l’intéresse pas. La vie est trop forte, filtre par la télé, et l’appelle de tous les côtés. Qu’est-ce que c’est que le collège dans ces cas-là ? Une salle d’attente de grandir. Il n’a pris aucune décision, cependant tout le monde pense que si autour de lui, car tout le monde parle de son avenir minable. C’est assez terrible parce qu’il n’a que douze ans.

Un enfant, par la fenêtre, crie et pleure régulièrement, et supplie sa mère, non, maman, non, c’est déchirant de lamentations, de supplications. Il parle, mais je n’entends pas ; ses arguments ne sont pas assez forts quand il les formule. Sa mère reste inflexible. Ça dure. Il est 20 h 24, on est le 16/06/2014. Il pleure encore, parlemente en même temps. Mamannnn. En même temps, dans un immeuble un ou une pianiste joue, apprend, répète le Ragtime de Scott Joplin (une version light : il ou elle ne joue pas les doigts de la main droite en octave). Les éboueurs viennent de passer. 20 h 32, le ragtime continue, l’enfant s’est tu. Oui, maintenant, il n’y a plus que le piano et au loin la benne. 20 h 36, plus rien, la ville, les voitures un peu. Hier, il s’agissait de lourdes rumeurs (l’équipe de France était engagée dans son premier match de la coupe du monde de football). J’entends de nouveau l’enfant, il hurle du fond de la gorge, s’époumone. Il a forcément raison. 20 h 39. Une voix d’homme qui dit arrête, arrête. L’enfant appelle maman ! Qu’est-ce que les parents lui ont proposé pour le lui retrancher ensuite ? Quelle loi n’a-t-il pas comprise ? La douche, les épinards, l’heure de dormir ? 20 h 43, plus rien. Pourquoi suis-je sensible à ses cris ?

Reprise : mercredi, 10h32, cris de l’enfant aux prises avec sa mère. Impossible d’aller en cours ce matin, insomnie.

Son amour était si fort. J’étais le ciel quand elle me regardait. Un immeuble neuf. Et il aurait pu pleuvoir dessus par trombes, j’aurais abrité l’intact. Un amour qui permet de se lancer en poésie, de jeter des métaphores et de retomber toujours sur ses pieds. J’étais le plus beau et ça durait. Sans cause ni conséquence. Tout allait de soi, sans subordonnées. Tu veux un café ? Oh oui ! L’ample perspective du café et des jours sans autre emploi que l’amour. Évidemment, c’était réciproque. Et nous le savions.

Nous ne nous étions pas rencontrés. L’amour nous avait arrachés à des vies que nous menions sans savoir. Arrachés ?! non, enlevés, cueillis, saisis, non. En plus, c’est important. Appelés ? convoqués ? distraits ? J’avais, paraît-il, souvent… aux prises avec des apparences, et ce nouvel état me faisait tout oublier. Nous étions drôles avec sérieux et prenions les drames, tournions les drames…

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