sentiment de l’âge

12 décembre 2015 § Poster un commentaire

Berenice AbbottDans la répétition.

Philip Jones Griffiths - Street Corner, London (1958)Dans le gris.

Hedda Morrison (1908-1991)-Young Mother Carrying A Child On Her Back In The Market,Hong Kong Island,1946Dans le regard.

William Eggleston, 1971Nos cheveux.

Jeudi, Chai, Pierre en bout de comptoir, puis Marie, Tasso, et le frère de Pierre. Les deux derniers partent comme j’arrive. Marie me raconte les aléas de son livre, du contrat, des corrections, de ses victoires sur l’éditrice ; de mon petit savoir, je réponds. Puis Mazarin, à trois. Bus. Discussion avec Arthur en rentrant ; ses remarques précises, acérées, sur les choses, les gens.

Mardi et ce jeudi, réunions de parents : ils viennent par couple, parfois recomposé nerveusement pour l’occasion, ou bien additionné du nouveau conjoint (à quatre donc qui font bonne mine sous le regard effaré de l’enfant parfois présent au spectacle de cet improbable), mais souvent seul (mais pas forcément le père ou la mère, ce peut être le beau-père ou la belle-mère, l’ami(e), la grande soeur), entendre quelque chose sur l’enfant ; aspect du confessionnal : conversation à voix retenue parce qu’un autre professeur officie dans la même salle et que la porte est ouverte sur le couloir et ceux qui patientent ; révélation sur des enfants dont était ignoré parfois un aspect médical, un suivi psychologique ; explications, reconnaissances. De la femme ou de l’homme en face, on comprend des options en germe dans le rejeton : oreilles décollées, accent de banlieue, vulgarité, élégance de classe, névrose, timidité, retenue, hostilité frontale, surpoids, gentillesse, alcoolisme, appétence, beauté et laideur, dont l’enfant se défera ou héritera. Sans que nous puissions, à de rares exceptions, y être pour quelque chose. Le pire fut ce père qui commença à m’écouter portable devant lui et tapant ses sms, à qui, au bout de deux mots, je dis voilà. Lui, interrogatif ; moi, terminatif, répétant voilà. Ce fut tout.

J’ai eu un autre père, il y a des années ; son origine étrangère apporterait des eaux à des moulins inutiles, autant la taire. Il s’est assis bien en face avec son garçon à ses côtés et a déclaré, parce que l’enfant avait de piètres résultats et que visiblement le père ne savait pas comment y remédier, que cet enfant, voyez-vous, je n’en voulais pas, c’était sa mère. Et le garçon, à côté, me regardait sans trop comprendre la teneur d’un tel aveu, sentait bien cependant qu’il y avait là quelque chose de peu amène à son endroit, quelque chose d’encombrant qui embarrassait la conversation ; où est-il maintenant ?

Jeudi 17 décembre. Chai, déjà là, Al Martin (écrire son nom comme celui mentionné sur le catalogue de l’expo qu’il a organisée, et qu’il m’offre) et Pierre. Mazarin, avec Marie qui nous rejoint, et Anne Brenner. Puis, ils vont boire un coup en face au Balto ; mais je ne peux pas, et rentre. Nuit assez douce. Vélo, on m’a volé ma lumière que je laissais négligemment depuis un ou deux mois sur le guidon.

Marché dimanche à Bastille. Nouvelles gerbes devant le Bataclan, montées sur trépied, déposées par des ambassades.

Ma mère.

Nos peines sont des étoles. Le deuil ne se montre pas. Quel intérêt de laisser mourir nos proches sinon celui de se parer ?

Avaler sa peine seul.

tard

5 décembre 2015 § Poster un commentaire

Chai, tôt. Pierre au milieu de la rue Jacques-Callot, devant la Palette. Je m’arrête, observe quelques secondes ce qu’il fait en pleine chaussée. Il m’aperçoit : il voulait discuter avec un galeriste, mais le type est au téléphone. Donc, Chai. Discussions. Puis dans l’ordre arrivent Odile, sa soeur, son frère et Anne-Do, puis Jean-Marie. Au Mazarin, table à l’intérieur ; Francesca se joint. Dînons, parlons, rigolons, sortons fumer en ordre dispersé. Puis dernier verre en face ; essai de danse mais la musique est trop faible et il est tard. Notre groupe arrive avec une joie que tous les consommateurs regardent. Pierre se met à jouer (ou bien Jean-Marie) au Mikado avec une tablée. Odile discute avec des clients. Par le carreau, Marie arrive, pose son scooter, nous rejoint. Mais il est tard.winifred_lenihan-1924 par Steichen Winifred Lenihan en Jeanne d'arc-1923 Winifred Lenihan 2

« Elle avait des yeux de faïence et travaillait avec vaillance pour un artilleur de Mayence qui n’en est jamais revenu ».

Lendemain, attente chez le dentiste au nom de philosophe, d’abord dans la salle ad hoc avec les magazines et la télévision sur un documentaire animalier et une famille qui arrive, tous un peu gros, le fils qui refuse de se faire soigner et tous sont là pour l’amadouer et l’infirmière (j’attends qu’elle me dise venez) parlemente avec le petit qui fait des mines, et dit au père qu’il faut priver le petit (il a 10 ans quand même, mais bêtifie) de sucreries et ils se chamaillent pour savoir quand le petit a pris un dernier bonbon ; on vient me chercher, on me conduit et m’allonge dans le fauteuil même, serviette en papier, prêt ; un demi-heure passe encore, le sommeil guette, donc, je me redresse, et reste assis, mal, main dans le menton, observe l’écran de contrôle (sorte de mini-ipad posé sur la paillasse) qui retransmet les allées et venues des patients et du personnel dans le couloir ; une heure de retard sans excuse, le dentiste finit par me dire qu’il ne va pas me faire de misères ce soir, qu’on verra en février, après m’avoir demandé si je partais pour les vacances. Non. (couronnes, céramiques, bagues, la bouche est un coffre de bijoux)Country limit series-Ronan Guillou

Où suis-je ?

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