Un retrait

30 août 2016 § Poster un commentaire

Je Tu Il Elle, Chantal Akerman (1976)

Je Tu Il Elle, Chantal Akerman (1976)

L’attente après un long silence exige la rémunération d’une grande pensée, d’un écrit du feu de dieu. Il a pris son temps, a peaufiné. Or, non, regarder le temps passé, à son habitude, c’est tout ce qu’il s’est exigé de lui-même ; au terme de quoi, à son habitude, il ne peut livrer qu’une petite crotte informe, un court vomi.

Il fallait sans doute qu’il écrive ça.

Sans doute, sans que rien n’arrive, qu’il ne rencontre personne, la vie, encore une fois, a été plus forte. C’est toujours la même chose. L’imbécile, qui n’a pas su fermer sa porte pour s’abstraire.

Cependant, le livre est écrit ; il ne demande plus qu’à être rédigé en bonne et due forme. On atermoie, on tergiverse ; ça prend des mois. Personne ne s’impatiente qu’une partie de soi.

Mercredi, se changer les idées ; première, Oncle Vania au Vieux-Colombier avec Anne D. Verres. Puis Anne D. vient me raconter (elle pensait que j’avais entendu, mais non) ce que ce ponte de la critique théâtrale vient de lui dire et qui, il y a de quoi, l’atterre. Une dame m’approche : vous êtes Calixte, vous avez fait quelque chose à vos cheveux ?

On voudrait faire plaisir aux gens et dire oui à ce qu’ils voient en nous, de nous et qui nous porterait à des excellences et des parts très remarquables, on voudrait confirmer des appartenances et des ressemblances, mais chien, nous disons non ! nous sommes nous, pas tel ou tel, Calixte ou je ne sais qui, nous-mêmes, indistinct et réfractaire. Et l’on va s’excusant d’avoir suscité une méprise. Le corps défendant. Cependant qu’Anne on ne l’a pas confondue. Cible d’une méchanceté, elle remâche ce que ce pauvre ponte sur le retour lui a jeté, l’intérêt de cette sortie. Elle allait chercher un bonsoir auprès de lui, tout au moins le signe qu’ils se voyaient, se croisaient ; elle récolte une gifle en retour. Entraperçu, le visage du ponte : chafouin, encombré de plis comme d’un ancien gros. Le hall d’entrée du théâtre est tout en longueur et il semblait faire des allers et retour de la sortie sur rue aux portes mêmes du théâtre, attendant l’apparition des comédiens, se faufilant parmi un ancien ministre de la justice, un ex-présentateur de journal télévisé, des comédiens amis, une petite vingtaine d’anonymes.

La vertu pédagogique de tels mini esclandres est de poursuivre le spectacle de Tchekhov ; hop, lumières rallumées, ébloui, il s’agit de mettre en application l’un des ressorts de l’âme humaine, susciter des réactions, bref, rejouer la comédie, assortir la soirée d’un petit drame à son échelle, de quoi rendre vraiment inoubliable sa sortie. Une sortie.

Ensuite, passant dans cette petite rue huppée, quand même, elle s’arrêta devant la vitrine de Vanessa Bruno en se demandant ce qu’il y avait de chic ou d’à la mode dans cette devanture, se consolant déjà sans doute, se vengeant déjà sans doute en s’en prenant à autre chose. La macération de l’opprobre occupant du temps, le ban et l’injure prenaient diverses directions pour être digérés. Il aurait fallu sur le moment dire dégage, gros con ; casse-toi, pauvre tache ou va te faire, trouduc ou tas de merde ! Mais on n’est pas si brillant. L’esprit est souvent d’escalier. Qu’a-t-on besoin d’aller dire bonsoir à quelqu’un qu’on connaît ?

Jeudi 22 septembre. Expo Francesca à l’hôtel Jules et Jim, retrouve Pierre. Patio couvert avec quelques tables. Suzanne J. et son ami. Des gaffes sans doute en parlant. Mazarin, Pierre. Puis Vincent G. et un écrivain frisé, annonce-t-il. Avachi, incurieux, satisfait, l’écrivain porte des sortes de santiags voyantes, une veste chinoise, a été le parolier d’un chanteur grand et mort maintenant, écrit trois livres par an, part chercher des cigarettes. Nicolas et Katia, Irina passent. Marie passe, puis Francesca et Joël, Patricia quitte trop vite la table où elle dînait et l’un de ses commensaux vient lui en faire le reproche, porte une veste rose. Rires. On fait décaler l’écrivain pour asseoir Patricia, puis l’écrivain disparaît ; j’apprends la mort d’Hubert et celle d’Iroe. Long passage intérieur d’étonnement triste, ce n’est pas le lieu. Je pense à Éléonore de la Taste (il y a quinze ans). Hélène passe. Le restaurant refuse de servir encore, ferme. Il est temps de partir.

Jeudi 29 sept. D’abord sous le dais, seul. Pierre et en même temps Francesca. Changeons de table pour celles le long du restaurant. Puis Joël. Puis Pierre L. et A.M., dont Anne-Marie fait plusieurs fois la description pour prévenir qu’il est déjà passé : cheveux poivre et sel, taille très moyenne, blouson. Je ne vois pas et Pierre non plus. Puis Jean-Marie. Joël part plusieurs fois, doit déménager tôt, revient, est retenu, part tout à la fin. Puis Patricia et Géraldine. A.M. montre son livre d’abord à Pierre L. puis à Géraldine. Tard.

Elle vient en fin de cours confier que pour punition, elle a dû apprendre « Consolation à M. du Perrier sur la mort de sa fille », dit (pour s’excuser solennellement encore de son manquement) que ce qu’elle a oublié de faire (j’ai oublié moi-même), elle ne l’oubliera plus. Elle parle à voix basse parmi les élèves qui finissent de ranger leurs affaires et quittent la salle ; étonné, inquiet, ébahi, parce que j’aime ce poème, je (je ne doute pas de ce qu’elle dit) lui demande de le réciter et elle aussitôt s’exécute ; je l’arrête très vite, ne voulant pas redoubler son pensum inouï, ni admirer ce qui lui avait peut-être causé de la peine. Prends brusquement conscience de la dureté de mes cours, de l’inconsciente exigence que l’on a à vouloir qu’ils fassent un exercice chez eux ou lisent un extrait.

Quelques jours après, ce poème, le sujet de ce poème, l’inconsolable tristesse du sujet de ce poème s’est répandu tout à fait dans mon esprit. Je me souviens que c’est son père qui lui a demandé de l’apprendre. Impossible de se lancer dans des interprétations farineuses, s’en tenir au donner. Je viens par ailleurs de corriger lire sa rédaction parfaite ; tout y est : regret, amertume, abandon, terreur, mélancolie, accaparement de l’ennui, avant une fin heureuse : « un peu de réconfort dans le purgatoire » ; calligraphie ancienne, aucune faute. Des élèves, parfois.

Repenser grâce à ça à  « Et les fruits passeront la promesse des fleurs. »
On en est à « Hiver, vous n’êtes qu’un vilain ».
Il remarque à chaque rencontre un trait de radinerie, une mesquinerie de propos qui l’empêchent de pousser plus avant leur relation. Mais c’est chez lui, il s’en fait la réflexion, que s’épanouissent ces travers, lui qui d’abord ne sait passer outre, lui qui connaît suffisamment ce manque de générosité pour le déceler chez les autres. Caler au seuil… pas envie d’investir… de sa personne… la poutre.
Seul ce jeudi 6 octobre. Puis Lionel ; Patricia et Clémence, et son petit chien, qui ne resteront pas, partent à côté à l’Italien, sont invitées ; en même temps, Anne B., qui repart, revient, Pierre, A.M et Martine, Francesca, puis Virginie et Philippe, et Roxane, et Marie B., avec Roberto et ?, en bout de table sur la gauche ; quelques minutes de flottement à chercher des chaises, à élaborer des tables. Anna et Alejandro passent. Irina qui s’assoit devant Philippe. Ali et les bagues lumineuses, puis des roses. Patricia et Clémence reviennent. Histoire de Colin et ses fiancées que Pierre ne peut accueillir, malentendu comique. Propositions de week-end qui heurtent des incompatibilités. Fâcheries finales. Anne-Marie emplit ma poche de petits chocolats ; retrouvés ce matin.

silence d’août

10 août 2016 § Poster un commentaire

Tombeau de Ilaria del Carretto-Jacopo della Quercia

Tombeau de Ilaria del Carretto-Jacopo della Quercia

Journée sans un mot.

oiseauxPlusieurs jours sans parole. Evidemment, des courses, le marché aujourd’hui, puis Franprix. Mais les commerçants, ça ne compte pas. (deux kgs d’abricots, sauge, roquette, demi-munster à une fromagerie adverse, sucre pour confiture, tomates concassées, farine de blé, vinaigre blanc). Une vingtaine de marchands, le tiers ou le quart.

C’est le mois d’août. Et ce soir, longue conversation avec Gabriel, seul aussi, à Trieste pour deux mois, via la caméra de Facebook. Tous deux torse nu devant notre écran. La lumière déclina plus vite là-bas. Gabriel allume la lumière. S’éberluer de pouvoir converser ainsi. Juste après, coup de fil de C. G. via le téléphone de N., rires sur le dos de l’infâme, de l’idiote, de l’inélégante X.

C’est faux. Je parle. Bonjour, je suis Cylène ou Sirène ou Sélène Gauthier ou Gautier du Centre de recherche… de formation… Merci beaucoup, madame, merci. Raccrocher. Trois, quatre fois par jour sur le fixe, dire non merci, non merci à des instituts de sondage, des vitriers, des agents immobiliers… On parle toujours un peu.

Aujourd’hui (jeudi 25 août), appel, je vous ai contacté en février et je me permets de vous rappeler à propos de votre fiscalité. Non, écoutez, non, je vous en prie, je n’ai pas d’argent. Vous payez moins de tant d’impôts par an, lance-t-il, oui, moins, ah bon ! répète-t-il outré, incrédule, flairant un mensonge, et pour finir méprisant, vous payez moins de tant d’impôts par an ? Oui. Bon, je vous souhaite une bonne fin de journée.

Gabriel Casas-librairie

Gabriel Casas-librairie

Robert Mapplethorpe, Lindsay Key, 1985

Robert Mapplethorpe, Lindsay Key, 1985

Southworth & Hawes1850

Southworth & Hawes1850

Laura Dewey Bridgman, Blind Poetess (1829–1899)-Southworth & Hawes -1855

Laura Dewey Bridgman, Blind Poetess (1829–1899)-Southworth & Hawes -1855

young woman

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Ingrid Bergman, 1939

Ingrid Bergman, 1939

Geronimo

Geronimo

Emily Dickinson

Emily Dickinson

fleur de pissenlit

Henri Cartier-Bresson-rue

Henri Cartier-Bresson-rue

Jolanta Umecka, Knife in the water-Polanski-1961

Jolanta Umecka, Knife in the water-Polanski-1961

fil

boulangerie

Jean-Philippe Charbonnier-cerceau

Jean-Philippe Charbonnier-cerceau

Bert Hardy-ballon

Bert Hardy-ballon

vent

femme plongeon

Tombeau de Guidarello Guidarelli

Tombeau de Guidarello Guidarelli

la chute de la maison usher-Jean Epstein, 1928

la chute de la maison Usher-Jean Epstein, 1928

Jean Epstein, 1928

Jean Epstein

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