Prendre

29 avril 2017 § Poster un commentaire

Sans nom, sans date ni lieu.

Incompréhensible.

Prendre. Se faire prendre.

Ni Noël, ni fête. Que fait cette photo ? Aucune espièglerie, aucun déguisement. Pourquoi sortait-on son appareil ? Un enfant, un chien, les vacances, une victoire, un paysage, un monument, toi devant le monument, nous tous réunis, la mer, la montagne quand on habite ni l’une ni l’autre. Ni mariage ni baptême qui mérite ici qu’on éternise un moment. Un nouveau tailleur. Une nouvelle coupe de cheveux. Un dimanche. Un anniversaire. Viens sur le bacon, je n’ai pas de flash encore sur mon nouvel appareil. Tu vas voir, il fait des photos formidables. La lumière du jour : c’est une photo d’intérieur/extérieur. En dépit du léger guingois de la perspective, la photo n’est pas prise par un enfant, mais par quelqu’un de plutôt grand. D’ailleurs, elle mesure exactement la distance qui sépare l’ombre de la rambarde de celle du plafond. Mètre du jour et de l’ombre. Le premier jour de beau. La petite mare d’eau dans l’angle droit, il faudrait faire réparer la gouttière. Aucune des baies vitrées visibles n’est ouverte, elle est entrée sur le balcon hors cadre, a marché jusque là : vas-y, je t’en prie. C’est une victoire.

Te prendre.

Le format Figure témoigne d’un goût. Les couleurs : saturation d’un tirage industriel ou surexposition d’un appareil automatique ? Camouflage du temps. Dénudé comme dans une peinture d’Edward Hopper. Seule comme chez Diane Arbus.

Toujours besoin d’asséner des références (lointaines et arrachées ici), car, à l’image de la peinture pauvre, existe une photographie modeste, instantanée, celle de la famille qui opère dans de mauvaises conditions, mais principalement par beau temps et principalement quand tu es dans ta puissance, dans ton éclat, dans ton ravissement. Il faut que tu sois dessus. Ne bouge pas, je vais chercher mon appareil. Les moyens du bord se reflètent surtout dans un tirage industriel des négatifs puis dans un support papier non négocié, un standard qui écrase les nuances, sur-éclaire, sature. Et on croit que c’est le temps qui passe, que c’est dû au sépia, au jaunissement ; on oublie le cadrage, les éléments parasites, la flaque d’eau, l’inconcevable géométrie des ombres qui oblige le sujet, le souligne et le présente : c’est un Bacon. Les chaises de Bacon, la flaque.

Thalès et trigo : d’un garde-corps d’1 mètre, d’un triangle-rectangle dont l’angle est de tant de degrés : déterminer quelle heure il était et sous quelle latitude la photo a été prise. On comptera pour nulles les marques d’humidité de la cloison et du sol qui feraient croire à un espace soumis aux vents et à l’eau comme un bord de mer.

Toute une esthétique qui fait école depuis longtemps maintenant et miment des films super-8 quand le héros se souvient.

Ne lui saute pas tout de suite aux yeux qu’il a vécu dix ans dans ce type d’appartement à balcon très ouvert. Après quoi, la ressemblance avec sa grand-mère paternelle tombe d’elle-même ; vérifiant du même coup les lois tenues pour anodines sur l’identification en matière de photos dites de famille : qu’importe les noms, les dates et les lieux. On s’y voit.

D’où vient l’immense tristesse de ce cliché ?

D’un abandon, toujours d’un abandon.

 

Septembre 1927

Inutile d’accuser une fois encore le temps. Mauvaise chimie.

jeune homme faisant du vélo (France). Vers 1920

Portrait de courtisane (France). Vers 1870

Photo vendue 32 dollars sur Ebay, Austin, Texas.

Photographe anonyme. Portrait d’une jeune fille de profil.
France, vers 1900. Tirage aristotype. 9,5 x 6 cm
Ref. JANV17-04 / Prix 300€

Reçu ce soir samedi message collectif, concernant une photo que je n’ai pas vue, « ne pas ouvrir la photo de la petite fille défigurée, c’est un cheval de Troie » !

Jeudi 4 mai, écrit le vendredi 5 à 1h 12, rentré taxi ukrainien, bus service terminé. Francesca, Irina, Patricia, Marie, Pascale, et Pierre.

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