« les profondeurs opaques »

10 juin 2017 § Poster un commentaire

Auerbach-Saint-Simon. Lâcher le second pour relire le premier décrire le second. Retourner au second : passage (près de quatre ou cinq pages) sur « Monseigneur tout court » ; et les libertés prises par les uns d’ajouter au gré du Sérénissime à leur étiquette royale, à leur altesse. (tome XIII, selon l’édition 1812 ; le III, dans la Pléiade) : « et le nom de dauphin disparut pour faire place à celui de Monseigneur tout court… »

Voici le passage cité par Auerbach, passage des Mémoires, Année 1713, c’est-à-dire beaucoup plus loin :  « Je le (il s’agit du père Le Tellier, au moment où le pape fulmine la bulle Unigenitus contre le jansénisme) voyais bec à bec entre deux bougies, n’y ayant du tout que la largeur de la table entre-deux (j’ai décrit ailleurs son horrible physionomie); éperdu tout à coup par l’ouïe et par la vue, je fus saisi, tandis qu’il parlait, de ce que c’était qu’un jésuite, qui, par son néant personnel et avoué, ne pouvait rien espérer pour sa famille, ni par son état et par ses vœux, pour soi-même, pas même une pomme ni un coup de vin plus que tous les autres, qui par son âge touchait au moment de rendre compte à Dieu, et qui, de propos délibéré et amené avec grand artifice, allait mettre l’État et la religion dans la plus terrible combustion, et ouvrir la persécution la plus affreuse pour des questions qui ne lui faisaient rien, et qui ne touchaient que l’honneur de leur école de Molina.

Ses profondeurs, les violences qu’il me montra, tout cela ensemble me jeta en une telle extase, que tout à coup je me pris à lui dire en l’interrompant: « Mon père, quel âge avez-vous? » Son extrême surprise, car je le regardais de tous mes yeux qui la virent se peindre sur son visage, rappela mes sens, et sa réponse acheva de me faire revenir à moi-même. « Hé! pourquoi, me dit-il en souriant, me demandez-vous cela? L’effort que je me fis pour sortir d’un sproposito si unique, et dont je sentis toute l’effrayante valeur, me fournit une issue : « C’est, lui dis-je, que je ne vous avais jamais tant regardé de suite qu’en ce vis-à-vis et entre ces deux bougies, et que vous avez le visage si bon et si sain avec tout votre travail que j’en suis surpris. » Il goba la repartie, ou en fit si bien le semblant qu’il n’y a jamais paru ni lors ni depuis, et qu’il ne cessa point de me parler très souvent et presque en tous ses voyages de Versailles comme il faisait auparavant, et avec la même ouverture, quoique je ne recherchasse rien moins. Il me répliqua qu’il avait soixante-quatorze ans, qu’en effet il se portait très bien, qu’il était accoutumé de toute sa vie à une vie dure et de travail; et de là reprit où je l’avais interrompu. »

La citation, dans le texte d’Auerbach, est plus courte. Ce qu’il remarque ici chez Saint-Simon, c’est le regard unique porté par l’auteur sur Le Tellier et la question étonnante qui l’interrompt, puis la repartie. « Ni le XVIIe, ni le XVIIIe siècle ne fournissent d’autres exemples d’un tel regard ; les hommes de ce temps étaient trop raisonnablement superficiels pour cela, trop discrets aussi, même en leur for intérieur, trop respectueux de la personne d’autrui, trop soucieux de garder leurs distances, de sorte qu’ils répugnaient à de tels dévoilements. »

A l’instar de la langue dite de bois, il y a un regard de même matière qui ne voit pas l’homme mais la fonction,… Que regarde-t-on ? Son regard. Absent, il voit. Son corps. Un corps dont il gratte du bout du bout de l’ongle de l’auriculaire un morceau de crâne pour éviter de défaire sans doute la petite mise en plis de ses cheveux raréfiés cependant que l’autre main, attentive et solidaire, se crispe ; lèvres figées sur un sourire bonasse. Se sait-il photographier ? Il est dans sa fonction, dès lors renie son corps à tout instant. Il ne saurait être dérangé par une démangeaison. Que fait-on sans corps ? On se guinde.

Remarque plus loin, chap. Schiller, uniformisation mondiale des gens, de leur mode de vie.

Jeudi, Chai, Pierre et son frère. Puis Mazarin, Patricia déjà présente ; puis Francesca, Anna de passage, Jean-Marie, Marie et Pascale, et Thomas, un Allemand seul à la table à côté, que Marie convie à s’approcher.

Hier, samedi 10 juin, avenue de la République, brusque parfum de tilleul au croisement de la rue Jean-Pierre Timbaud. Des tilleuls en alignement. Tilia tomentosa, dit le fichier open data des arbres de Paris. Beau temps, chaleur.

Aujourd’hui dimanche, en revenant de la rue Bretagne, parfum de jasmin au croisement des rues de Saintonge et Normandie. Croisé deux élèves. Au bureau de vote, toujours même appariteur qui connaît tout le monde, salue l’un, s’entretient avec un autre qui vient de déposer son bulletin et tourne sur lui-même soudain pris de désoeuvrement au milieu du carrelage, n’a pas tant à dire, obstrue maintenant la file d’attente, part.

Jeudi 15 juin, vélo, chemise à rayures blanc et bleu coordonnée à celle de Pierre puis à celle de Bruno (photo : un homme qui passe porte la même, figure puis ne figure pas sur la photo) ; A.M, Patricia et Pierre au Chai ; au Mazarin, Marie et Roger ; Anna et son fils dînent à une autre table ; plus tard, Iouri, Corinne et d’autres dînent à côté. Retour en discussion sur le commensal allemand de la semaine dernière, dévions sur Clément Marot (« Anne, par jeu, me jeta de la neige ») puis Louise Labé.

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Il y avait dans la conversation une indécision sur qui avait écrit quoi ? très vite levée par Marie qui vérifia sur son téléphone.

Il n’y a plus de chansons dont les paroles nous échappent, des airs anciens qui ne nous reviennent que par morceaux. Nous pouvons trouver auteur et morceaux très vite. La littérature ne comble pus des trous. Il n’y a plus de trous, plus de blancs.

Croisant, il s’en souvient, une personne qu’il connaît très bien et ne saluait pas parce que depuis des mois elle ne le faisait pas, ce soir-là, si, elle le salue et lui adresse en même temps le reproche de ne pas le faire ; lui, pris de cours, se permet alors de vouloir se justifier, avoir voulu respecter la sorte d’indifférence, et que… tout de suite, sa repartie est trop longue évidemment, insuffisante évidemment, déplacée, mal venue, mesquine, ce qu’on voudra. N’importe quel témoin de l’échange verrait ici sa mauvaise foi, son mauvais fonds à maintenir une situation (ne pas se saluer entre personne de connaissance). Or, un témoin, il y en a un. Tout de suite derrière cette personne, s’en trouve une autre qui a tout entendu, tout vu, et le regarde avec une hostilité féroce, ancienne, ancrée. Surpris d’une telle haine, il détourne le visage, fuit… Il s’agit toujours dès lors d’imaginer ce genre de personne tombant ici parmi les phrases bancales rapportant un quotidien familial ou vaguement mondain, les rapports de tous ces identiques jeudis, les lancinants compte-rendus de marché, listes de courses ; pire, ces phrases alambiquées prétendant dans un semi-brouillon revendiqué partout ici en découdre mine de rien avec de grandes vérités ; bref, tissus de vanités et d’orgueilleuses vomissures que des photos ne sauveraient pas… C’est à quoi s’attendre toujours, au détour d’une porte. Heureusement, il n’y pense jamais. (((texte impossible au « je »)))

Il vient ici prêter le flanc.

La Muraille de Chine, Kafka

Jeudi 22 juin (écrit lundi suivant) : Vélo, Chai, Patricia, Pierre, Marie et Pascale. Mazarin, les mêmes.

Jeudi 29, Chai tard, vélo, puis tablée Pierre, Patricia, Franscesca, Marie, Pascale (qui parle de sa pratique du kyūdō), puis Hélène.

Après la chute de Vendôme, celle de Chamillart. Cabale, complot, disgrâce d’abord ; puis conséquences, affres pour certains de s’être commis afin d’évincer l’un, scrupules parfois, néant pour d’autres. Nomination de Voysin, jouet protégé de Mme de Maintenon. Saint Simon, satisfait du premier, regret du second.

Ponce le parquet, javellise pour le blanchir. C’est emprunter à l’été, vouloir connaître ces sortes de planchers qui courent sur les plages.

week-end Paris

3 juin 2017 § Poster un commentaire

La difficulté de se définir ou de définir les autres emprunte des points de vue, superpose des angles et des couleurs, compose la trame de l’histoire.

D’un seul mot, n’en parlons pas ! Même jeune fille, même chien, même journée, semble-t-il. Deux tirages différents. Etrange.

titre trouvé avec le cliché : « moody woman in her office curtain and air conditioner-polaroid-50s-ebay-us-12-98 ». Pourquoi « moody » ? Elle sourit, dispose de l’air conditionné et d’une agrafeuse, d’un bureau avec rideaux, plantes et décorations. Si, peut-être perçoit-elle qu’elle n’est pas le centre de la photo.

Jeudi 1 juin, Chai où sont déjà Pierre, A.M. et Martine. Puis Mazarin avec Pierre ; où dînent déjà Patricia et Clémence (et son chien (le nom ?)), puis Francesca, puis Florentin passe, Anna avec un canotier ; puis un certain Jacques (?), qui semble dormir à une table et que Pierre va saluer, et qui chante un répertoire des Beaux-Arts. Et il est tard comme peu de fois.

Lendemain, en retard rue des Canettes. Vélo crevé.

Tout le monde part en week-end. Mal composé d’obligations, le mien me fixe à demeure.

Il soupire brièvement chez lui, assis et, juste au moment de l’expiration, dans la cour intérieure de l’immeuble, bruit d’une bouteille qui tombe dans la poubelle à verre, fait sonore court qui superpose d’un bris le silence de cet après-midi de juin. Comme un sous-titre mal traduit. Ou un miaulement sur un chien. Tout ça pour souligner qu’il n’est pas seul.

 

Où suis-je ?

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