Sur la route des fonds d’écran

10 août 2019 § Poster un commentaire

et des magasins vintage (Wasteland, Goodwill, Cal Surplus…) de Haight St (plus de dix fois), Cole et Masonic Ave, avec arrêt au Magnolia pour un kombucha, à Silver Sprocket (Carlotta ramasse tous les flyers, patches et autocollants), puis le Whole foods pour une grande barquette de myrtilles, retour à l’Amoeba Music (ancien bowling), vaste entrepôt de disques, Cd, posters, T.shirts, parfois Hayes St pour varier. Le bus à impériale trimbale sa cargaison de touristes pressés. Haight-Ashbury est un nouveau disneyland, thème hippie (The Love Tour : location de van Volswagen peint dans l’esprit psychédélique, c’est-à-dire de toutes les couleurs dans l’ordre de l’arc-en-ciel (« Gratuity is not included »)).

« À l’âge de dix-huit ans, j’ai quitté le nid familial pour de bon et me suis mise en coloc avec une bande de hippies et de toxicos. Pour nous tous, c’était une étape. Notre objectif, c’était Haight-Ashbury, à San Francisco. Nous étions cinq : Della, Don, Wendy, Nash et moi. Della était la seule à bosser et à ramener de l’argent, et elle nous le faisait bien sentir. Don, son mec, a fini par en avoir marre de l’entendre râler et s’est trouvé un job. » extrait de Comme une version arty de la réunion de couture, de Cookie Mueller, 2019.

A Yosemite, des collines entières brûlées ; paysage de troncs noirs, de troncs fracassés ; l’herbe qui repousse. Encore sans carte ni 4G, en quittant les montagnes, on se retrouve sur la 140 au lieu de la 120 ; poursuivre jusqu’à Mariposa, rejoindre Moccassin. Deux, trois véhicules sur la route aperçus à flanc de collines pelées, ranchs, enfilade de boîtes aux lettres sur pied, bourgs avec mini-Mart, ancien relais, paysage. Devant, un gros camion Peterbilt à parechocs inox dévale les routes, prend de l’avance, finit par disparaître.

Dimanche 11/8, couru jusqu’aux Michel-Ange du commissariat, peu de coureurs et de promeneurs sur la coulée verte (nom mal choisi, évoque un vomi) ; le marché fréquenté par des touristes. 15 août très silencieux dans l’immeuble et sur le boulevard.

jeudi 22/8, couru (une idée !) jusqu’au marché, puis facile jusqu’aux Michel-Ange, peu de monde, des touristes.

« Car c’est par là que nous valons quelque chose, l’aspiration. Une âme se mesure à la dimension de son désir, comme l’on juge d’avance des cathédrales à la hauteur de leurs clochers. Et c’est pour cela que je hais la poésie bourgeoise, l’art domestique, quoique j’en fasse. » Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet, 1853

Dimanche 25, couru, mal.

(hasard de lecture) Le kombucha, le gros champignon trouvé sous l’étable des buffles dans L’art perdu des fours anciens ; Fier-à-bras s’en empare et fait payer les boissons, aux vertus bienfaitrices. ((boisson découverte au Magnolia sur Haight St)).

Vu dans Conversation secrète de Coppola, repéré sur Google street view. Le lendemain de notre arrivée, direction Union Square, j’indique l’endroit l’angle de Geary et Stockton, résume la scène à Carlotta, son importance. Puis Macy’s, au premier, assis en vitrine.

Dans le film, le fourgon avec l’équipement d’écoute est installé le long du trottoir en face du premier palmier, au niveau du fourgon FedEx ci-dessous. Le même jour, on tombe sur le flat iron building de Coppola et son restaurant Zoetrope en rez-de-chaussée.

Le soir, un morceau de Bullitt sur l’ordi. Le lendemain parfois, on est dans la bonne rue, au bon angle, tout près de chez Enrico’s. Puis Russian Hills, et la poursuite entre Dodge Charger 440 et Ford Mustang.

https://www.youtube.com/watch?v=nhSDAxgLgho (Bullitt, 1968 ( FILMING LOCATION) with shot-for-shot remake car chase). Une Dodge, une Dodge ! appelle Carlotta, mais ce n’est jamais la bonne.

Au Golden Gate, évidemment, arrêt Hitchcock ; idem au Mission Dolores Park, pique-nique. En revenant de Sausalito, surprise : un Robin Williams Tunnel ! on ironise.

Devant le City hall, discussion sur Harvey Milk, puis à Castro.

en se promenant

Dimanche 1/9/19, couru jusqu’à l’eau pétillante, bien. Marché bondé.

Jeudi 29/08, rentrée des terrasses ; en attachant le vélo, endormi par terre, dos contre la vitrine de la Galerie Pièce unique, Lionel, visiblement décalqué. Chai, Pierre, Marie, Pascale. Les mêmes au Mazarin. Puis Capucine et Maëlys, issues de la mode, ironiques, au vin blanc.

Grève aux urgences

7 août 2019 § Poster un commentaire

Une journée de lecture : Manuel à l’usage des femmes de ménage de Lucia Berlin (déjà lu à sa parution). 10 h 30. D’abord Mairie du 11ème, 2 h 30 d’attente aux logements sociaux, non, vous êtes inscrit, ce mail est une erreur, c’est la mairie du 13ème qui gère, le robot s’est trompé, regardez. La femme de l’accueil explique qu’il y aura de plus en plus d’attente partout, de moins en moins de personnes pour recevoir des gens avec leurs dossiers. Des femmes enceintes écoutent patiemment (c’est le même bureau d’accueil pour les inscriptions en crèche) ; personne ne râle, trop peur d’être écarté d’une liste d’attente ensuite, de devoir revenir pour une pièce manquante ou quoi ? subir une vengeance bureaucratique. Un jeune homme, frais émoulu ou en stage d’été, derrière le comptoir d’accueil dit qu’il va pleuvoir vers 13 heures ; c’est la pause ; on se relaie pour aller déjeuner, tu as ton parapluie, toi ? L’employée qui arrive, parle de sa fatigue, repart, oui, à tout à l’heure, revient avec des courses, rejoint son bureau, se souvient, oui, je vous avais reçu.

((((L’attente, le phénomène de l’attente. La voir partir déjeuner, revenir, discuter avec ses collègues, et enfin découvrir que c’est elle qui vous reçoit. Elle a pris son temps (c’est son heure de pause) ; elle a pris le mien. L’attente nivelle… fait accomplir… comme aux urgences.)))

Vélo jusqu’à gare du Nord, Lariboisière, porte 21, polyclinique, peu d’attente avec des numéros, appareil à tickets. Non, pas ici. On va vous accompagner. Donc Urgences. A l’accueil, calme pour l’instant. Peu d’attente aux guichets d’admission même, mais une dizaine de personnes assises tout autour. Un infirmier jovial fait son entrée en tractant deux brancards ; sa bonne humeur, son allant répand un flux de sourires, comme une aura de cohésion. Des calicots à même la blouse d’un infirmier, des autocollants, des affiches, des guirlandes une lettre par feuille pour former les mots URGENCES EN GREVE. Mais tout le personnel travaille, s’affaire, se croise, s’apostrophe, se blague ou non, infirmiers, gardes, pompiers, types de la maintenance qui passent avec un escabeau, filles à la réception et médecins. Visage habitués à en voir. Deuxième salle, attente plus longue. Un homme étendu sur un lit mobile, main au front, cartable noir sur le ventre, chemise, cravate, chaussures de cuir noires, d’autres gens sur des lits, une femme un peu forte gilet rouge (elle repartira avec une minerve noire qu’une infirmière lui ajustera en expliquant au type d’à côté, un habitué qui lui a demandé si elle était nouvelle parce qu’elle ne trouvait pas le bouton pour ouvrir la grande porte, que, non, elle revient de vacances (ce type, air pas content tout le temps, arpentant les salles, harassant les médecins, méprisant les infirmières parce qu’elles sont des femmes, obtenant un dossier, baskets blanches, bermuda en jean, et baise-en-ville en bandoulière)), écouteurs, téléphone ; deux jeunes types, origine philippine (?), casquette, téléphone (l’un cherche une prise pour son hub) ; un type pieds nus, jean aux jambes relevées sur les mollets comme revenant de la plage, t.-Shirt, gros ventre, très musclé, tatoué, teint très mat, peau comme cuite au soleil, cheveux ras, m’aperçoit, me salue, comme je suis seul à répondre à son salut, il me sourit, parle, je lui dis que je ne comprends rien à ce qu’il dit (personne ne parle dans la salle), il répète en allemand football, police ; je ne crois pas qu’il soit allemand, je le lui dis, il ne comprend pas, sourit ; un jeune homme roux, main bandée ; un type dégarni, téléphone ; bruits d’esclandre, monsieur, revenez vous asseoir, s’il vous plaît, cris, j’en ai marre d’attendre ; enfin, on voit le type, origine algérienne (?) et pendant une heure, il passera, partira, reviendra, s’en prendra à tout le personnel, se calmera en voyant les autres patients ; l’homme musclé, « allemand », d’un coup de menton, sourire froid, mâchoires serrées, fait wai, prêt à le calmer (?) à sa façon ; une femme mince, jupe très bleue, se ronge les ongles, surveille les portes, les arrivées ; un type au corps soufflé, visage déformé, cheveux ras, la quarantaine, d’autres encore. Première consultation, bracelet au poignet, nouvelle attente. Hasard, lecture de « Notes prises aux Urgences, 1977 », une des nouvelles de Lucia Berlin. J’avance beaucoup dans le livre. Des infirmières appellent les gens par quatre ou cinq et ils partent dans une nouvelle salle. Une nouvelle aire, compartimentée en pièces, pour une nouvelle consultation avec un médecin. Je salue ; léger étonnement des gens qui répondent, sourient un peu, notamment un jeune homme très blanc, chemise blanche, une douleur niveau 4, avoue-t-il au grand médecin qui s’accroupit vers lui. Nouvelle attente. Il pleut, je lis. Deux femmes, une Antillaise (?) et l’autre blanche, origine anglaise (?) œil droit au beurre noir et une bosse bleue, rouge à la tempe, elle revient des toilettes et se frotte l’aine avec une grimace, sans sac à main, pantalon léger, t.-shirt et sandales, téléphone, regard morne, comme revenant d’une situation éprouvante ; elle est maintenant séparée de son amie (?) antillaise. Le type très bronzé, « allemand », me présente ses tatouages : épaule gauche, un serpent, épaule droite, un léopard, les deux avant-bras côté sans poil, le nom de ses enfants A. et J., en écriture gothique ; attente ; je dors ; réveillé par le type qui ne veut pas s’asseoir ; lecture ; je demande au tatoué allemand pourquoi il est pieds nus, il répond football. On n’avance pas. Je lui dis qu’il a un gros ventre en souriant, ajoute c’est la bière ; il dit bière en mimant le geste de boire, se marre. Il dort d’un coup et ronfle. Cris, bruits, un type est conduit menotté dans une pièce qui reste ouverte, t.-shirt ensanglanté, accompagné d’un policier en civil, gants en latex blanc, alors défilé d’infirmières, hurlements du type, on lui parle anglais, puis français, dix, quinze fois lui demander de s’allonger. Un patient brun, calme, qui ne bénéficie pas du bon angle, comme moi, pour apercevoir ce qui se passe, se lève et s’approche. Une docteure s’occupe de lui, monsieur, écoutez, je vais vous toucher ici, vous allez me dire. Cris de la femme, bruits. Stop it, crie la femme. Placardée sur un mur, la photocopie de l’article paru dans Mediapart sur la grève aux urgences. L’infirmière vient poser la minerve autour du cou de la femme un peu forte avec des recommandations qu’elle entrecoupe d’explications à un autre patient qui en a assez d’attendre. Le bandit allemand psalmodie, prières ? invectives ? En fait, il jauge le physique de l’infirmière avec grand intérêt ; il murmure peut-être ce qu’il voudrait lui faire. Il plie une jambe et pose le pied sur la chaise sur laquelle il est assis : une docteure lui demande d’ôter son pied. Une femme repart avec une attelle. Il en profite pour s’allonger sur les chaises en fer ; quelques secondes, se redresse. Trois policiers en tenues rejoignent la salle où se débat l’homme menotté qui continue de vociférer, de refuser les soins. L’Anglaise attend son scanner, dit-elle. Tout le monde attend les résultats de quelque chose ; la prise de sang, c’est deux heures. Personne ne raconte son malheur. Assieds-toi, allonge toi, dit vingt fois de suite par les policiers. L’homme a arraché le gros pansement qu’on avait réussi à lui faire et qui lui entourait le crâne. Une infirmière n’en peut plus, sort, une autre arrive. On l’attache, on l’avait prévenu. Une infirmière sort de la pièce avec un gros paquet de draps en papier ensanglanté ; un infirmier a nettoyé le sol ; les policiers maintiennent le type. Discussion, qu’est-ce qui s’est passé ? question posée dix fois ; il ne veut pas porter plainte (?), il veut fumer, non, il veut pisser, non, vous venez d’y aller. Policiers et infirmières, répit, discutent ; un infirmier leur apporte des chaises. Dans la salle d’attente en face de la pièce aux policiers, restent l’Anglaise, l’Allemand, une femme ; l’Allemand, yeux brillants, regarde les femmes, psalmodie. Enfin, bilan, ça va, oui, faites ça, faites ci. La pluie s’est arrêtée. Il est 19 h.

Et là, en plein après-midi de rien,

4 août 2019 § Poster un commentaire

dans l’appartement du dessus, un concert, duo violon-violoncelle. Ouvrir les fenêtres, ne plus rien faire qu’écouter. En toute fin, on reconnaît le célèbre prélude de la Suite n°1 de Bach. Pour le reste, non. Bruits dans l’escalier, les instrumentistes s’en vont. Discussion. Le concert était un cadeau d’anniversaire surprise. Haydn, duo ; Corelli, sonate en ré mineur et Glière, 8 morceaux, par Sarah et Macha. Dimanche 4 août.

Retour. Carlotta, choquée de voir des cireurs de chaussures ; kiosque avec tarifs et mention meilleur cireur de la ville ; deux fois, à deux endroits différents dans le quartier financier ; l’un se faisant cirer des sneakers en cuir noir ! Les deux autres, des chaussures de mauvaise qualité à semelles caoutchouc. Trouvées à 10 dollars Church’s, modèle Burwood, et une paire quasi neuve d’Allen Edmonds, modèle Park avenue, noire (30 $).

Ce matin, 6 h 40, quatre avions dans le ciel, leurs traces blanches font des angles droits.

Les modèles réduits des petits soldats de l’armée en terre cuite de l’empereur Qin vendus un peu partout à Xi’an pour 5 yuans meublent certains étals de Grant Ave à Chinatown, grossiers, moches et mal reproduits, vendus 10 $, ils prennent la poussière ; nombreux, identiques, à la différence des originaux sortis de terre aux visages et aux poses variés, alignés et en rang sur leur étagère, ils livrent une idée d’entassement de la tombe, d’un mausolée du pauvre. Aperçus dans deux ou trois boutiques, chaque fois sur des étagères basses, loin des T.-shirts, au rencard. Ils ne sont pas les produits phares.

En sortant de chez Whole Foods ou après avoir rendu les vélos, au bout de Haight st de toute façon, quasiment au Golden Gate park, Carlotta aperçoit des 33 tours debout par terre adossés au mur ; elle ne peut pas les prendre tous ; elle veut en choisir, mais ne connaît aucun des groupes ou chanteurs, et il y a un peu n’importe quoi ; elle finit par emporter un Stephen Stills, un Elton John, un Cat Stevens, un Doris Day (dans le bus, je chante « que sera sera » ; Ah ! c’est elle !) et un autre Cecilia Valdes (nom d’une opérette cubaine) qu’elle abandonne après quelques mètres et dont on photographie la pochette. Assis plus loin, on regarde passer les gens, une famille de Français : un petit garçon dit à une petite fille que plus grand, il fera collection de disques ; ils ont chacun des 33 tours sous le bras. Sur de nombreuses pochettes, la mention Mike Moore.

En voiture, plusieurs playlists organisées par Carlotta : une pour Palo Alto, une pour Yosemite, une pour la Route 1 et une autre encore pour Sausalito, San Rafael et Stinson beach. Alternant avec la radio. Et « Cymbaline » placé chaque fois à des moments importants, arrivée quelque part, traversée de Bixby bridge. Nombreux petits films. D’abord tout Tame Impala, ensuite Cocteau Twins (tout moins certaines), Pink Floyd (pas les derniers), David Bowie (surtout Changes).

Détour par 17-Mile Drive (avant Carmel) et ses 12 parcours de golf ; route prise à l’envers, de sorte qu’il n’y a personne devant ou derrière ; toutes les voitures en face. Tracé rouge sur la double bande jaune qui aiguille les véhicules, carte avec spots numérotés parmi les très riches résidences, et partout vues sur le Pacifique. Carlotta se demande si on a le droit d’aller là ou là. Des golfeurs échangent des avis devant leur voiturette, vêtus de polos chers et de pantalons inélégants.

C’était novembre. En fait, chaque matin, même avec ciel bleu, on sortait pour attraper le bus, le 54 à l’angle Moscow et France, le 8 sur Geneva, le 29 sur Persia ou le 43, et c’était novembre. Vent, froid, nuages, une fois bruine. En sortant du Bart, vers Civic center, révélation, ah non, c’est l’été.

De San Francisco,

3 août 2019 § Poster un commentaire

en juillet, vidée de ses enfants et d’une partie de sa population pour congé, il aurait fallu filmer celle des rues, plus de sept mille personnes, selon la mairie et les services sociaux. Pour se rendre compte, pour savoir. Savoir quoi ? Et puis faire un tour dans le quartier indiqué par les pompiers (discussion pendant un quart d’heure), à deux blocs d’ici, sur Geneva, qu’on apercevait à l’occasion en empruntant le bus 8 (aperçus par les vitres, des types en train de boire dès le matin devant les grilles du parking-terrain vague, des maisons déglinguées) ou bien en se trompant de bus (on avait, sur les indications foncièrement erronées d’un chauffeur de bus 8bx, pris le 8ax qui nous avait largués (fin de la ligne, répéta-t-il en grossissant sa voix pour imiter celle d’une annonce enregistrée) quasi devant l’immense COW PALACE (déjà, arrivant de derrière les collines, les nuages épais, blancs et bas rampaient sur les cimes avant de redescendre sur la ville en masses effilochées de brume, annonçaient le soir) au bout de Geneva à sept heures du soir dans un quartier désert traversé d’immenses rues arpentées par de gros SUV GMC, types seuls au volant (type au volant en Stetson, blanc, gras, avec deux jeunes femmes, gentes inox, pot d’échappement troué, donnant de petits coups d’accélérateur pour presser la voiture de devant, faisant deux fois le tour)), enfoiré de chauffeur de bus, évidemment personne pour renseigner, personne ne marche dans la rue de ce côté de la ville) ; ou une autre fois, en se trompant de sortie sur l’autoroute (louper Alemany blvd, sortir à la suivante, sur Silver, puis San Pedro, dealer au coin, types qui s’embrouillent plus loin) ; ou une autre fois, poursuivre dans Hyde en plein Tenderloin. En fait, c’est ce qu’on a gardé. Parce qu’à chaque incursion dans les zones dûment mentionnées (Fisherman’s Wharf surtout, Coit Tower, les trams pris d’assaut…), on s’est demandé ce qu’on faisait là.

Débarqués devant COW PALACE, c’est-à-dire de l’autre côté du John McLaren Park qu’il aurait fallu traverser en coupant par des quartiers ; on était encore sur Geneva, mais la ville finissait là, et on voyait la route partir vers les collines, la campagne.

Au sortir d’un petit marché de quartier (où ?) : des vendeurs principalement hispano-américains proposent des jeans, des piles, des lots de shampooing, des ordis, un homme (né au Japon mais installé ici depuis plus de trente ans) engage la conversation : vous êtes perdus, ce marché n’est pas pour vous, il y a des voleurs, vous êtes comme moi, ça se voit. Nous marchons ; il connaît Paris, oui, Richard Lenoir, Oberkampf, et voilà qu’il s’interroge sur l’origine allemande du nom. Son bus arrive, il part.

Bus 14 qui remonte tout Mission (on le remonte sur plus de 4000 numéros pour rejoindre un musée fermé ce jour-là). Un type pauvre est monté sans carte, s’est assis d’emblée sur les places réservées, caddie devant lui. Peu de monde. Montent deux femmes pauvres, petites, la cinquantaine, sans sac à main, d’origine mexicaine (?). La porte du bus se referme trop rapidement sur la seconde qui s’assoit sans rien dire. Le type alors très fort : vous avez vu ce que le chauffeur vous a fait, la porte, il faut vous plaindre, vous avez le droit de vous plaindre… Les deux femmes, même celle qui répond un peu (l’autre (celle qui s’est fait bousculer par la porte), ne comprend pas, se contente de sourire, d’acquiescer de la tête en regardant sa copine pour savoir si elle fait bien), sont sur le qui-vive ; le type invective très fort le chauffeur qui ne dit rien (on est pourtant à l’avant du bus). Autre chose, aborde le type, vous savez que Jésus vous aime… et c’est parti ; les deux femmes sourient obligeamment parce que le type est tout de même très violent, il crie l’amour de Jésus, il applaudit de ses grosses mains congestionnées, il rit sincèrement très fort de cet amour qui est sur lui, sur eux, sur tout le monde, sa joie est très violente, aucune ironie ; il lance une phrase, il l’applaudit, scande… (un autre jour, prédicateur amateur, dans la rue à dix heures du matin, en sortant du Bart à 16th st Mission, noir, en costume élimé, cravate, s’égosillant au micro, en sueur, au milieu des tables improvisées d’associations et de types qui hantent la place ; d’autres, dans le métro, par couple gardant un présentoir léger à brochures, le type souvent en imper, des témoins de Jéhovah qui parlent entre eux pour la contenance).

Dans L’art perdu des fours anciens, distinction entre les pauvres, les moyens-pauvres… Lecture de passages à Carlotta qui demande ce qui me fait rire ; je lui lis un paragraphe avec Pissechien, ou l’histoire du chien tondu qui s’évanouit en apercevant son reflet et Pissechien qui doit convaincre l’animal qu’il n’est pas laid…

La nature du touriste : riche. Aucun type qui traîne à Fisherman’s Wharf ; le type qui chante et braille est vite interpellé par un policier ; tout autour, trop de magasins dépendent de cette paix des rues requise à la consommation tranquille.

Par contraste, les clients de Trader Joe’s ou de Whole Foods. Ceux qui sortent de Trader Joe’s sur la 4th st, à côté des magasins de Market, ont commandé un Uber ou un Lyft pendant leur queue aux caisses et s’y engouffrent en sortant avec leurs paquets. Les caissiers et les vendeurs aux si bonnes manières, intelligents et vifs comme des bibliothécaires ; leur tablier qui les fait ressembler tous à de gentils fleuristes. On ne fouille pas ton sac, on voit à ton visage que tu n’as pas volé. Très différents des clients des Safeway ou des Target, qui ne sont pas équivalents des Lidl ou Ed. A côté de H&M, de plus en plus de magasins de vêtements pauvres, sans joie, mal faits, à marque empruntée : Forever 21, Ross, Dress for Less. Et les Goodwill, vêtements de seconde main. Et les Daiso (nourriture emballée et objets à 1, 5 dollar)(d’abord celui de Berkeley, puis celui de Market st), grande déception de revoir Miniso (petits objets inutiles, électroniques, pour soin capillaire, des jouets, des peluches, des cadeaux rapides pour amis lointains) en sous-sol dans le centre commercial de Westfield sur Market st, juste à côté d’une aire de restauration, bien éclairée comme à Pékin, mais au lieu de 3 yuans c’est 3 dollars, et de nombreux produits sont accompagnés d’une mention sur le cancer. Au Safeway de Mission St, le premier soir, vers 21 h 30, scène entre un vigile et un client : ce dernier, humilié, en a marre d’être suivi, l’autre lui explique qu’il assure la sécurité. On est retournés à Miniso une seconde fois pour essayer encore, mais non, la magie de Pékin a disparu.

Le mot cute. Tout le monde est saisi, peut être saisi à tout moment n’importe où par cette flèche de sensation qui doit traverser et harponner le sentiment de la douceur, de la gentillesse, de l’absence totale d’agressivité, de la familiarité, de l’innocence… dérèglement de la perception… la vue d’une peluche ou d’un chaton abat les jugements de valeur (goût, prix, fonction)… une communion… un ensemble, sous peine d’être éjecté… c’est donc une règle, un diktat, une injonction de l’objet à produire telle réaction… une obligation de groupe, à se reconnaître du même groupe… L’animal cute nous regarde de son premier amour possible ; il nous choisit en dehors de tout critère ; cette élection, nous voulons bien la partager le temps du ravissement, le temps d’une photo, le temps de dire cute ou mignon ou kawaï ; c’est à cette élection que nous reconnaissons les nôtres. L’animal cute ne parle pas, n’a pas de bouche ; ou bien s’il parle, c’est incompréhensible, des monosyllabes, ou bien toujours la même phrase d’objet électronique ; son petit côté stupide caresse ce que nous voudrions tant être pour les autres : objet de convoitise et de ravissement, finir dans une poche, un sac à main, le creux d’une main, blotti. Le cute est sans conscience. Nous venons à son secours. Objet petit a. Infans.

Discussion politique dans un magasin de Haight st.

Un jour, partis sans plan ni carte ni 4G. Descendus trop loin de l’entrée du Glenn Canyon park (on aperçoit déjà le boulevard qui mène aux Twin Peaks), on retourne sur nos pas à longer le parc et les grands eucalyptus ; pris à partie par une femme, la peau cuite, ses fringues, ses sacs, qui pense qu’on la suit, qu’on est là pour la dénoncer d’habiter dans le parc, que c’est une honte de notre part ; on avance sur elle parce que c’est le chemin, et elle continue, mais recule, se méfie. Trouvé une petite trousse First Aid dans les fourrés du bas-côté, neuve, mais délavée par le soleil. Un autre matin, dans les allées du Golden Gate Park, types qui ont dormi au pied d’un arbre, duvet, caddie. Et toujours, partout, d’immenses eucalyptus

Dans le 8 ou dans le 43, aux alentours des hôpitaux, ramassage des infirmiers (la plupart d’origine hispanique ou chinoise) qui ont gardé leur tenue bleue ; vers 17 h, tous les vieux chinois dorment dans le bus aux places réservées.

Où suis-je ?

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