« les profondeurs opaques »

10 juin 2017 § Poster un commentaire

Auerbach-Saint-Simon. Lâcher le second pour relire le premier décrire le second. Retourner au second : passage (près de quatre ou cinq pages) sur « Monseigneur tout court » ; et les libertés prises par les uns d’ajouter au gré du Sérénissime à leur étiquette royale, à leur altesse. (tome XIII, selon l’édition 1812 ; le III, dans la Pléiade) : « et le nom de dauphin disparut pour faire place à celui de Monseigneur tout court… »

Voici le passage cité par Auerbach, passage des Mémoires, Année 1713, c’est-à-dire beaucoup plus loin :  « Je le (il s’agit du père Le Tellier, au moment où le pape fulmine la bulle Unigenitus contre le jansénisme) voyais bec à bec entre deux bougies, n’y ayant du tout que la largeur de la table entre-deux (j’ai décrit ailleurs son horrible physionomie); éperdu tout à coup par l’ouïe et par la vue, je fus saisi, tandis qu’il parlait, de ce que c’était qu’un jésuite, qui, par son néant personnel et avoué, ne pouvait rien espérer pour sa famille, ni par son état et par ses vœux, pour soi-même, pas même une pomme ni un coup de vin plus que tous les autres, qui par son âge touchait au moment de rendre compte à Dieu, et qui, de propos délibéré et amené avec grand artifice, allait mettre l’État et la religion dans la plus terrible combustion, et ouvrir la persécution la plus affreuse pour des questions qui ne lui faisaient rien, et qui ne touchaient que l’honneur de leur école de Molina.

Ses profondeurs, les violences qu’il me montra, tout cela ensemble me jeta en une telle extase, que tout à coup je me pris à lui dire en l’interrompant: « Mon père, quel âge avez-vous? » Son extrême surprise, car je le regardais de tous mes yeux qui la virent se peindre sur son visage, rappela mes sens, et sa réponse acheva de me faire revenir à moi-même. « Hé! pourquoi, me dit-il en souriant, me demandez-vous cela? L’effort que je me fis pour sortir d’un sproposito si unique, et dont je sentis toute l’effrayante valeur, me fournit une issue : « C’est, lui dis-je, que je ne vous avais jamais tant regardé de suite qu’en ce vis-à-vis et entre ces deux bougies, et que vous avez le visage si bon et si sain avec tout votre travail que j’en suis surpris. » Il goba la repartie, ou en fit si bien le semblant qu’il n’y a jamais paru ni lors ni depuis, et qu’il ne cessa point de me parler très souvent et presque en tous ses voyages de Versailles comme il faisait auparavant, et avec la même ouverture, quoique je ne recherchasse rien moins. Il me répliqua qu’il avait soixante-quatorze ans, qu’en effet il se portait très bien, qu’il était accoutumé de toute sa vie à une vie dure et de travail; et de là reprit où je l’avais interrompu. »

La citation, dans le texte d’Auerbach, est plus courte. Ce qu’il remarque ici chez Saint-Simon, c’est le regard unique porté par l’auteur sur Le Tellier et la question étonnante qui l’interrompt, puis la repartie. « Ni le XVIIe, ni le XVIIIe siècle ne fournissent d’autres exemples d’un tel regard ; les hommes de ce temps étaient trop raisonnablement superficiels pour cela, trop discrets aussi, même en leur for intérieur, trop respectueux de la personne d’autrui, trop soucieux de garder leurs distances, de sorte qu’ils répugnaient à de tels dévoilements. »

A l’instar de la langue dite de bois, il y a un regard de même matière qui ne voit pas l’homme mais la fonction,… Que regarde-t-on ? Son regard. Absent, il voit. Son corps. Un corps dont il gratte du bout du bout de l’ongle de l’auriculaire un morceau de crâne pour éviter de défaire sans doute la petite mise en plis de ses cheveux raréfiés cependant que l’autre main, attentive et solidaire, se crispe ; lèvres figées sur un sourire bonasse. Se sait-il photographier ? Il est dans sa fonction, dès lors renie son corps à tout instant. Il ne saurait être dérangé par une démangeaison. Que fait-on sans corps ? On se guinde.

Remarque plus loin, chap. Schiller, uniformisation mondiale des gens, de leur mode de vie.

Jeudi, Chai, Pierre et son frère. Puis Mazarin, Patricia déjà présente ; puis Francesca, Anna de passage, Jean-Marie, Marie et Pascale, et Thomas, un Allemand seul à la table à côté, que Marie convie à s’approcher.

Hier, samedi 10 juin, avenue de la République, brusque parfum de tilleul au croisement de la rue Jean-Pierre Timbaud. Des tilleuls en alignement. Tilia tomentosa, dit le fichier open data des arbres de Paris. Beau temps, chaleur.

Aujourd’hui dimanche, en revenant de la rue Bretagne, parfum de jasmin au croisement des rues de Saintonge et Normandie. Croisé deux élèves. Au bureau de vote, toujours même appariteur qui connaît tout le monde, salue l’un, s’entretient avec un autre qui vient de déposer son bulletin et tourne sur lui-même soudain pris de désoeuvrement au milieu du carrelage, n’a pas tant à dire, obstrue maintenant la file d’attente, part.

Jeudi 15 juin, vélo, chemise à rayures blanc et bleu coordonnée à celle de Pierre puis à celle de Bruno (photo : un homme qui passe porte la même, figure puis ne figure pas sur la photo) ; A.M, Patricia et Pierre au Chai ; au Mazarin, Marie et Roger ; Anna et son fils dînent à une autre table ; plus tard, Iouri, Corinne et d’autres dînent à côté. Retour en discussion sur le commensal allemand de la semaine dernière, dévions sur Clément Marot (« Anne, par jeu, me jeta de la neige ») puis Louise Labé.

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Il y avait dans la conversation une indécision sur qui avait écrit quoi ? très vite levée par Marie qui vérifia sur son téléphone.

Il n’y a plus de chansons dont les paroles nous échappent, des airs anciens qui ne nous reviennent que par morceaux. Nous pouvons trouver auteur et morceaux très vite. La littérature ne comble pus des trous. Il n’y a plus de trous, plus de blancs.

Croisant, il s’en souvient, une personne qu’il connaît très bien et ne saluait pas parce que depuis des mois elle ne le faisait pas, ce soir-là, si, elle le salue et lui adresse en même temps le reproche de ne pas le faire ; lui, pris de cours, se permet alors de vouloir se justifier, avoir voulu respecter la sorte d’indifférence, et que… tout de suite, sa repartie est trop longue évidemment, insuffisante évidemment, déplacée, mal venue, mesquine, ce qu’on voudra. N’importe quel témoin de l’échange verrait ici sa mauvaise foi, son mauvais fonds à maintenir une situation (ne pas se saluer entre personne de connaissance). Or, un témoin, il y en a un. Tout de suite derrière cette personne, s’en trouve une autre qui a tout entendu, tout vu, et le regarde avec une hostilité féroce, ancienne, ancrée. Surpris d’une telle haine, il détourne le visage, fuit… Il s’agit toujours dès lors d’imaginer ce genre de personne tombant ici parmi les phrases bancales rapportant un quotidien familial ou vaguement mondain, les rapports de tous ces identiques jeudis, les lancinants compte-rendus de marché, listes de courses ; pire, ces phrases alambiquées prétendant dans un semi-brouillon revendiqué partout ici en découdre mine de rien avec de grandes vérités ; bref, tissus de vanités et d’orgueilleuses vomissures que des photos ne sauveraient pas… C’est à quoi s’attendre toujours, au détour d’une porte. Heureusement, il n’y pense jamais. (((texte impossible au « je »)))

Il vient ici prêter le flanc.

La Muraille de Chine, Kafka

Jeudi 22 juin (écrit lundi suivant) : Vélo, Chai, Patricia, Pierre, Marie et Pascale. Mazarin, les mêmes.

Jeudi 29, Chai tard, vélo, puis tablée Pierre, Patricia, Franscesca, Marie, Pascale (qui parle de sa pratique du kyūdō), puis Hélène.

Après la chute de Vendôme, celle de Chamillart. Cabale, complot, disgrâce d’abord ; puis conséquences, affres pour certains de s’être commis afin d’évincer l’un, scrupules parfois, néant pour d’autres. Nomination de Voysin, jouet protégé de Mme de Maintenon. Saint Simon, satisfait du premier, regret du second.

Ponce le parquet, javellise pour le blanchir. C’est emprunter à l’été, vouloir connaître ces sortes de planchers qui courent sur les plages.

week-end Paris

3 juin 2017 § Poster un commentaire

La difficulté de se définir ou de définir les autres emprunte des points de vue, superpose des angles et des couleurs, compose la trame de l’histoire.

D’un seul mot, n’en parlons pas ! Même jeune fille, même chien, même journée, semble-t-il. Deux tirages différents. Etrange.

titre trouvé avec le cliché : « moody woman in her office curtain and air conditioner-polaroid-50s-ebay-us-12-98 ». Pourquoi « moody » ? Elle sourit, dispose de l’air conditionné et d’une agrafeuse, d’un bureau avec rideaux, plantes et décorations. Si, peut-être perçoit-elle qu’elle n’est pas le centre de la photo.

Jeudi 1 juin, Chai où sont déjà Pierre, A.M. et Martine. Puis Mazarin avec Pierre ; où dînent déjà Patricia et Clémence (et son chien (le nom ?)), puis Francesca, puis Florentin passe, Anna avec un canotier ; puis un certain Jacques (?), qui semble dormir à une table et que Pierre va saluer, et qui chante un répertoire des Beaux-Arts. Et il est tard comme peu de fois.

Lendemain, en retard rue des Canettes. Vélo crevé.

Tout le monde part en week-end. Mal composé d’obligations, le mien me fixe à demeure.

Il soupire brièvement chez lui, assis et, juste au moment de l’expiration, dans la cour intérieure de l’immeuble, bruit d’une bouteille qui tombe dans la poubelle à verre, fait sonore court qui superpose d’un bris le silence de cet après-midi de juin. Comme un sous-titre mal traduit. Ou un miaulement sur un chien. Tout ça pour souligner qu’il n’est pas seul.

 

Paradis perdu

7 Mai 2017 § Poster un commentaire

Photographe anonyme. Nageuse sous l’eau.
Vers 1940. Tirage argentique d’époque. 27,5 x 20,5 cm
Ref. JANV17-06 / Prix 500€

La photo de famille.

Deux photos ici n’appartiennent pas au genre, échappent. Celui qui photographie est trop fort.

La photo de famille, comme genre s’époumone, disparaît. En mourant, elle gagne son titre. Nous n’étudions que les choses mortes, au corpus immense mais clos.

Le geste de photographier, l’appareil, le support.

Témoins muets, elles ne sauraient contredire mon histoire, mais instruisent des archives générales : « ah ! ça se passait comme ça à cette époque ! », « c’était donc ça, la mode ! « . Jamais disponible, la vérité de ces photos échappera toujours. On ne les regarde pas pour elles-mêmes. Un nom, une date pourront aiguiller… resserrer… mais peu importe,… on ne saura jamais grand chose de cette dame du Missouri, de l’enfant… c’est le vêtement, le nuage, la saison,… nous entrons dans le souvenir, c’est-à-dire la fiction. L’énigme totale, complète ne peut jamais être résolue ; elle est celle du temps qui passe. A moins de fuir avec lui, on n’en saisira jamais que des bribes, des contours… et c’est ainsi que, dans le meilleur des cas, on tient entre les mains des clichés aux couleurs dégradées. Numérisées, elles se stabilisent.

Alors, comme pour toute fiction, rechercher sa raison d’être, pourquoi faire ? pourquoi photographier ? Plutôt que la joie, la fiction se réfugie dans le drame, l’événement plutôt. La photo de famille ne capte qu’un seul événement : ça a eu lieu et c’est fini.

D’autres événements font jour, des ressemblances ?… des traces de la famille, les seules visibles, grâce aux photos qui font liens. La seule raison de leur présence commune ici au même endroit en même temps. Ce petit garçon qui ne s’amuse pas, cette petite fille bien sage, cette femme qui sourit comme un jour de mariage (c’est encore et recommencé le jour du mariage sur de nombreuses photos) ; une application à tenir la pose, même passé le temps du gélatino-bromure d’argent, dispense un ennui. Nous sommes une famille grâce à ces photos. Ne bougez plus. Souriez (apprendre le mot « cheese »).

Quelque chose passe dans la photo de famille du photographe : il n’est pas étranger à ce qu’il photographie, il fait partie de l’objet ; il est tout de suite présent, n’est nullement un sujet d’étonnement, on l’attend, on le connaît, on l’oublie presque ; on lui a dit viens, viens, sans insister : c’est le père. A quoi bon le prendre en photo ?

Le sujet : toujours toi. C’est-à-dire moi pensant d’une certaine façon à toi.

Sous l’appellation « Photo de famille », on agglomère un ensemble de pratiques plutôt qu’un groupe à liens de parenté

Loin semblait alors la loi du selfie.

(Mal de tête très fin, qui rappelle que le crâne existe)

« It’s not ‘natural’ to speak well, eloquently, in an interesting articulate way. People living in groups, families, communes say little—have few verbal means. Eloquence—thinking in words—is a byproduct of solitude, deracination, a heightened painful individuality. »
Susan Sontag, As Consciousness is Harnessed to Flesh
Jeudi 11 mai, départ en vélo, grand hasard de voir Pierre me rejoindre comme je traverse République. D’abord au café Le Ronsard, un café verre d’eau, au pied de Montmartre : l’ironie déplacée du square appelé Louise Michel. Nous attendons qu’il soit l’heure de l’expo à la Halle saint-Pierre, « Le grand trouble », des dessins, peintures, sculptures. Redescendons de la butte en vélo. Croisons Francesca à sa galerie de photos ; elle est contente, elle a bien vendu. Ensemble au Chai, puis Mazarin, rencontrons Laurent G., pas vu depuis deux ans peut-être. Dînons avec lui, puis Patricia ; fin de soirée avec Marie, Pascale et une certaine Peggy. Retour de Bruno. Aperçu Francis qui dîne à l’intérieur. Discuté avec Arthur au retour. Ce matin, marché.
Jeudi 18 mai, grosse pluie. Musée de Cluny dans la journée. La petite île de la Dame à la licorne. Soir, bus, Chai, A.M et Pierre. Puis Marie et Pascale, Patricia. Tablée à côté avec Noëlle C. et son mari Uli, Anouk G. qui salue Marie.
Reprise de la lecture d’Erich Auerbach, et conséquemment, découverte d’Ammien Marcellin, historien. (relire Curtius, lu la première fois sur microfilms à la Bnf)
(de moins en moins possible de formater cette page)

Prendre

29 avril 2017 § Poster un commentaire

Sans nom, sans date ni lieu.

Incompréhensible.

Prendre. Se faire prendre.

Ni Noël, ni fête. Que fait cette photo ? Aucune espièglerie, aucun déguisement. Pourquoi sortait-on son appareil ? Un enfant, un chien, les vacances, une victoire, un paysage, un monument, toi devant le monument, nous tous réunis, la mer, la montagne quand on habite ni l’une ni l’autre. Ni mariage ni baptême qui mérite ici qu’on éternise un moment. Un nouveau tailleur. Une nouvelle coupe de cheveux. Un dimanche. Un anniversaire. Viens sur le bacon, je n’ai pas de flash encore sur mon nouvel appareil. Tu vas voir, il fait des photos formidables. La lumière du jour : c’est une photo d’intérieur/extérieur. En dépit du léger guingois de la perspective, la photo n’est pas prise par un enfant, mais par quelqu’un de plutôt grand. D’ailleurs, elle mesure exactement la distance qui sépare l’ombre de la rambarde de celle du plafond. Mètre du jour et de l’ombre. Le premier jour de beau. La petite mare d’eau dans l’angle droit, il faudrait faire réparer la gouttière. Aucune des baies vitrées visibles n’est ouverte, elle est entrée sur le balcon hors cadre, a marché jusque là : vas-y, je t’en prie. C’est une victoire.

Te prendre.

Le format Figure témoigne d’un goût. Les couleurs : saturation d’un tirage industriel ou surexposition d’un appareil automatique ? Camouflage du temps. Dénudé comme dans une peinture d’Edward Hopper. Seule comme chez Diane Arbus.

Toujours besoin d’asséner des références (lointaines et arrachées ici), car, à l’image de la peinture pauvre, existe une photographie modeste, instantanée, celle de la famille qui opère dans de mauvaises conditions, mais principalement par beau temps et principalement quand tu es dans ta puissance, dans ton éclat, dans ton ravissement. Il faut que tu sois dessus. Ne bouge pas, je vais chercher mon appareil. Les moyens du bord se reflètent surtout dans un tirage industriel des négatifs puis dans un support papier non négocié, un standard qui écrase les nuances, sur-éclaire, sature. Et on croit que c’est le temps qui passe, que c’est dû au sépia, au jaunissement ; on oublie le cadrage, les éléments parasites, la flaque d’eau, l’inconcevable géométrie des ombres qui oblige le sujet, le souligne et le présente : c’est un Bacon. Les chaises de Bacon, la flaque.

Thalès et trigo : d’un garde-corps d’1 mètre, d’un triangle-rectangle dont l’angle est de tant de degrés : déterminer quelle heure il était et sous quelle latitude la photo a été prise. On comptera pour nulles les marques d’humidité de la cloison et du sol qui feraient croire à un espace soumis aux vents et à l’eau comme un bord de mer.

Toute une esthétique qui fait école depuis longtemps maintenant et miment des films super-8 quand le héros se souvient.

Ne lui saute pas tout de suite aux yeux qu’il a vécu dix ans dans ce type d’appartement à balcon très ouvert. Après quoi, la ressemblance avec sa grand-mère paternelle tombe d’elle-même ; vérifiant du même coup les lois tenues pour anodines sur l’identification en matière de photos dites de famille : qu’importe les noms, les dates et les lieux. On s’y voit.

D’où vient l’immense tristesse de ce cliché ?

D’un abandon, toujours d’un abandon.

 

Septembre 1927

Inutile d’accuser une fois encore le temps. Mauvaise chimie.

jeune homme faisant du vélo (France). Vers 1920

Portrait de courtisane (France). Vers 1870

Photo vendue 32 dollars sur Ebay, Austin, Texas.

Photographe anonyme. Portrait d’une jeune fille de profil.
France, vers 1900. Tirage aristotype. 9,5 x 6 cm
Ref. JANV17-04 / Prix 300€

Reçu ce soir samedi message collectif, concernant une photo que je n’ai pas vue, « ne pas ouvrir la photo de la petite fille défigurée, c’est un cheval de Troie » !

Jeudi 4 mai, écrit le vendredi 5 à 1h 12, rentré taxi ukrainien, bus service terminé. Francesca, Irina, Patricia, Marie, Pascale, et Pierre.

pas de nouvelles

25 avril 2017 § Poster un commentaire

An Ossetian graduate from the town of Beslan prepares to release balloons in honor of the 385 people killed in the 2004 siege. Location: North Ossetia-Alania, Russian Federation

Concevoir plus de textes entre chaque photo.

Le photographe de ces trois dernières images, le même, n’a pas la bonne hauteur. Quelque chose ne va pas. Mauvais moment ? Mauvais angle ? Chaque photo trop chargée. On dirait un professeur de photos. Sujet chaque fois noyé dans l’exposé. Plusieurs sujets, chaque fois. On ne sait plus où donner de l’œil, que voir ? Surfait, surjoué, surphotographié. Quelque chose en trop. Trop loin ? Trop près ? Trop posé ? On ne voit pas les jeunes femmes se peigner ; qu’importe les chevaux qui font comprendre la mangeoire. Idem, l’homme seul suffit. Sans fenêtre et sans gouttière, la troisième bronze mieux. Un reportage peut-être, qui guigne vers l’art, ne sait pas choisir, voit les gens comme objets. Pas dedans. Manque de férocité. Et puis on comprend tout de suite de quoi il s’agit. Aucun va-et-vient de l’oeil ; le dispositif haptique, allons-y Madeleine ! est loupé. Le photographe n’aime pas son sujet ; il l’évite, s’en sert.

Lecture du moment.

Ces quatre photographies, du même, touchent aussitôt (haptique).

Même photographe, même surcharge.

Jeudi 20 avril. Chai : Pierre, A.M. et sa maîtresse, Bruno Q. au bout du comptoir, son grand fils et Leila assise en vitrine ; je découvre ces derniers après coup. Place assise sur un tabouret entre Bruno et Pierre ; Francesca arrive. Cédé aussitôt le tabouret pour disparition. Au Mazarin, place en bout de table, à gauche Marie, puis Martine. Marie face à Pierre qui jouxte A.M. Donc, personne en face ; Irina s’y assoit plus tard. Elle a acheté de la rhubarbe.

Duplicité de vouloir y être sans y toucher, donner l’air. Lâcheté.

Jeudi 27, pas de sortie.

Samedi 29. Pas encore 9 heures : confitures terminées. 5 petits pots à la fraise. 6 gros + 5 petits de rhubarbe (gingembre, citron, pamplemousse et sirop de fraise issu de la confiture adjacente). Ecumer. Cuisinière caramélisée. Hier soir, deux vasques pour faire dégorger 2 kg de fraises et 6, 2 kg de rhubarbe. Moins de sucre.

C’est décidé

17 février 2017 § Poster un commentaire

Strandleven. Een man staat klaar om een met een zweefduik aankomende vrouw op te vangen. 1937. Badnummer Het Leven.

Strandleven. Een man staat klaar om een met een zweefduik aankomende vrouw op te vangen. 1937. Badnummer Het Leven.

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Flora Photographica 281

Flora Photographica 281

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A. va s’occuper de la femme de son ami Rémi pour tâcher de la faire revenir à une raison qu’elle n’a jamais eue… ou plutôt qu’elle quitte en permanence. C’est très compliqué, à peine une tâche, nullement un devoir, plutôt un acte amical envers Rémi qu’il connaît depuis une vingtaine d’années. Rémi est d’abord très réticent non pas de cette perspective… mais dans la définition même de ce qu’il convient de faire. les mots tapent à côté de la cible, distordent tout. On dirait que tous deux, à parler ainsi, inventent un nouveau métier, une nouvelle fonction, raison pour laquelle ils peinent à isoler un vocabulaire adéquat. Cette nouveauté dont ils se persuadent manque de mots, voilà tout ! Mais sauver son couple lui semble la seule possibilité. Il tient à sa famille, n’envisage pas le divorce, quoique sa femme l’en menace plusieurs fois par mois mais, dès qu’il la place dans la situation d’une séparation, entame des démarches, consulte et lui expose ce qu’il en serait, elle fait machine arrière, ne s’adoucit nullement, déclare qu’elle reste avec lui en rageant… Elle craint l’abandon plus que tout… Elle l’accuse de vouloir partir, de la rendre malheureuse… Il aimerait qu’elle ait un amant. En tant qu’ami, A. ne pourra nullement l’aider dans cette voie. Non, tout est planifié, il va s’installer à demeure et tout mettre en oeuvre pour établir la paix. A. donne des preuves de sa légitimité, de son talent à arranger, à concilier (il a, voici quelques années, intercédé entre les éléments d’un couple qui se séparait afin de récupérer chez l’un (il ne se souvient plus si c’était elle ou lui) le lecteur de Cd (c’était l’époque des Cds) plus l’ampli Denon, tous deux restés, bon, bref, et il a réussi ; Rémi demande maintenant de qui il s’agissait mais sur ce point A. reste muet, tenant à conserver le secret de tractations d’un couple… blabla..)… A. et Rémi se connaissent tant, Rémi a tant de fois parlé de son couple, que l’affaire va bon train et qu’ils partent très loin dans la résolution… Ils en discutent la première fois assis tous deux sur une incroyable banquette zébrée blanc, jaune, rouge, orange, marron, noir dont le dossier très haut leur sert d’appui-tête en même temps qu’elle, la banquette, et lui, son dossier, les empêche quasiment de regarder en arrière tant les couleurs vives y saturent… y brouillent les perspectives… gênent le regard… d’un lieu très à la mode, dont ils se foutent, embarqués par la conversation… mais le lieu est très fort et impose par son bruit et ses couleurs d’être considéré… de la musique également, des gens à la mode… et des séquences de lumière noire qui font resplendir leur chemise et blanchir leurs dents d’un éclat luminescent… ils se demandent ce qu’ils font là… ils se sont laissés surprendre… ont poussé une porte… Ils sortent… Ce lieu à la mode, ils ont l’air de le découvrir à la lumière du problème de Rémi, problème dont ils s’accordent à dire qu’il n’est pas du, mais alors pas du tout à la mode… Ce que je veux, déclare A., ce que je veux avant tout, dans la liberté où je serai de partir quand je le voudrai, c’est que tu me dises exactement ce que tu désires. D’autre part, tu me verseras un salaire et tu me donneras des ordres. Le plus difficile pour toi, ce n’est pas l’argent, tu en as ; ni de me faire accepter dans ta maison… non… Les ordres ? devance Rémi. Oui, et aussi ce que tu veux vraiment. Ni toi ni moi ne voulons perdre du temps ni envenimer la situation… il faudra que tu me fasses confiance…

(Dès le départ, ils s’étaient tournés tous les deux vers le bruit, les gens qui passaient, les couleurs de meubles, parce que tout les gênait dans leur dialogue, et ils ne cessaient de s’intéresser aux choses autour, tentaient de décrire, de comprendre… et ils se faisaient souvent répéter ce que l’autre avait dit…)

zinaida-reich-1937 washington-dc-photo-by-burt-glinn-1968Rémi se lance à raconter l’histoire de ce parasite… il cherche le nom : la teigne, le pou, la punaise… pour faire exemple à la démarche de A., expliquer sa présence… Ce dernier ne l’entend pas de cette oreille : je serai moi, à visage découvert, parmi les tiens. Ah oui ! et sous quel motif ? dit Rémi. Sans ton de reproche, A. expose les dizaines de raisons de recevoir un ami plusieurs semaines, plusieurs mois. Rémi avait oublié, qui n’invite plus personne depuis qu’il vit avec sa femme impossible.

Untitled.; Garry Winogrand (American, 1928 - 1984); early 1960s; Gelatin silver print; 23.2 x 34.1 cm (9 1/8 x 13 7/16 in.); 84.XM.1023.27

Untitled.; Garry Winogrand (American, 1928 – 1984); early 1960s; Gelatin silver print; 23.2 x 34.1 cm (9 1/8 x 13 7/16 in.); 84.XM.1023.27

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Avaient-ils bu plus que de coutume ? Les semaines suivantes, il n’en fut plus question. Rémi et sa femme ont-ils trouvé soudainement la paix ? A., qui compte sur cet argent, en reparle. Une autre fois, dans un autre bar, Rémi raconte un rêve : il marche sur une route avec ses enfants montés sur un âne ; le chemin devient difficile ; l’âne peine ; à la boue succède le sable ; et Rémi, qui porte déjà ses enfants, doit porter l’âne pour passer la dune… Le plus incommode, ce n’est pas le mot, cherche Rémi, le plus terrifiant, c’est de devoir faire ce rêve chaque nuit. Il a regardé sur internet, n’y a pas trouvé la signification de son rêve. A. considère l’expression lointaine de Rémi, son oeil qui chancelle ; au tremblement de ses pensées… A. ne lui en veut pas de raconter un rêve, dont le récit toujours l’ennuie, mais de fabriquer un paravent d’histoires… qui cache le sujet d’importance… Quoi ? Peut-être pourrais-je présenter ainsi l’affaire à ma femme : toi, A., tu connais des problèmes dans ton couple et tu as besoin de t’éloigner, et de venir chez nous…

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Et puis, ce matin, rien d’autre à faire que de se réveiller à 5 heures et des poussières ; rhubarbe réduite dans la nuit, hop ! confiture. Cours à 8 heures.

Carlotta passe dans l’après-midi, pour son journal de lecture sur Si c’est un homme. Idées en marchant pour faire les courses.

Du ressort de quelle mécanique l’infernal oiseau trouve-t-il à claironner depuis huit ans sous mes fenêtres ? 5 heures, aujourd’hui jeudi 23 février. Ce n’est même pas le printemps. Ils sont plusieurs. Côté chambre, puis côté entrée. Évidemment, dès que le jour se lève, plus rien.

Jeudi 27 février, loin maintenant, on est mercredi 8 mars : Chai, Pierre, Pierre L. et un ami canadien, Bruno et Leila, Marie, la fille de Bruno, au comptoir devant un ballon de rouge, finalise sur le téléphone de son père l’achat d’un voyage. Mazarin, l’ami canadien, Pierre L., Pierre, puis Marie et Pascale ; puis Corinne et Iouri, et enfin Anna qui revient de Cuba, dont elle parle, expliquant la situation depuis l’entrée massive des touristes qui corrompent les lieux, les prix, les gens. Francis et Bruno dînent sur la banquette l’un à côté de l’autre, nous regardent en souriant ; Francis rappelle toujours l’ancien temps ; face à lui, Nathalie, qui sert deux fois par semaine, est malade, se plaint. Bus.

Il se dit tout le monde prend et lit Paris-Match et passe avant moi ; je devrais lire un des Paris-Match de l’une trois piles et je passerais ; il attend en lisant le livre qu’il a apporté, c’est malin ; à quoi ça sert sinon à se faire remarquer ? Une heure d’attente. Des patients entrés après lui et maintenus hors de la salle d’attente dans le hall sur des chaises et sans table basse et donc sans Paris-Match, passent avant lui parce qu’ils en ont pour peu. Donc, Paris-Match ou pas, il passera. Le médecin ouvre la porte, dit son nom. Il passe enfin, sans Paris-Match. Une femme déjà âgée, bedaine, canne, essoufflée, qui feuillette la revue en la toisant ; l’autre qui lit longuement tout. Rires dans la pièce adjacente d’où l’on entend presque la conversation. Deux vases très laids sur la cheminée-poèle ; moquette rouge qu’on sent rêche.

Hôpital

Gens qui vont guignant des heures leur nom sur Google, tâchant d’apprendre ce qu’ils sont. Leurs requêtes nourrissant des statistiques vides finissent par pallier leur absence.

Jeudi 23 mars, Chai, Pierre, Pascale. Mazarin, les mêmes, Francesca, puis de retour du Salon du livre, Marie, puis Noëlle et Uli.

Forcé à une conversation de bon aloi qui le rebute, il se soustrait peu à peu de la tablée, laisse passer les occasions de participer, dérive. C’est que, suivant sa volonté, il se place en bout de table, refusant de trôner ou d’occuper un centre, il se retrouve près du mari de l’amie ou de la femme d’un autre, aux occupations parfois fort éloignées des siennes ; ce qui devrait l’intéresser l’éloigne. A se demander s’il ne cherche pas la contrariété. Bêtise récurrente.

Jeudi 30 mars, beau temps toute la journée. Elèves au square du Temple, contents, ils jouent la scène du Médecin malgré lui sur la pelouse, mais on entend mal. Vérifier leur travail sur la potion, présentation d’une définition de la littérature (selon Foucault) : page comme seul lieu.

Chai, Pierre. Puis Anna B., puis Francesca. Mazarin, tables dehors, rue Mazarine à même la rue fermée pour travaux. Irina vient plus tard, serre son apparemment nouveau sac en python qu’elle pose sur la table et montre, contente de son achat ; des ventes de presse, dit-elle. Au toucher, on sent les écailles sur la peau tendue. Tard.

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31 décembre 2016 § Poster un commentaire

(ou 4)

Prétexte.

Bon, que lire, cette année ? Toujours Saint-Simon, Kafka. Terminé La Rosée, son histoire et son rôle, aux Éditions VillaRrose.

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Immeuble coi ce 31, écouté France culture, Motown… en faisant l’énième tarte aux herbes. Puis Préparatifs dont la fin approche.

Le dernier Christian Oster, La Vie automatique, évidemment. Et d’ailleurs, après quelques pages, puissance de réfraction ou on ne sait quoi d’irrépressible, envie d’écrire, se jeter sur la première feuille et l’emplir. Pas ici.

Mardi 3 janv, marché ce matin, beaucoup de marchands encore absents.

Jeudi 5, Chai, Pierre raconte l’origine du groupe Arrgh ! Mazarin, Francesca. Comité réduit. Évoqué le cours sur le registre pathétique de la mort de Roland expliqué le jour même à des élèves attentifs et qui voulaient même lire l’extrait suivant pour ne pas sortir de cette tristesse qu’on commentait ; ils voulaient continuer. Certains cours. J’avais, sournoisement, convoqué leurs souvenirs de films ; du Roi Lion, de Bambi, de Titanic, de Robin des bois se forgea l’idée du poignant. Rentré tôt.

Marché, embrouille dans la file d’attente chez le poissonnier ; gens qui font la queue devant le produit qu’il guigne, et c’est à qui alpaguera le vendeur débordé ; d’autres, non, patientent derrière un précédent ; la patronne, à sa caisse, bavarde avec une copine derrière, assise, veille au grain. Une femme à un homme qu’elle soupçonne de l’avoir dépassée : « on n’a qu’une vie ». Il y a donc la patronne, une autre vieille dame, sorte d’électron libre sur l’étal qui sert qui elle voit, cheveux blancs, frôlant les clients avec ses mains empoissonnées, et quatre vendeurs, dont deux qui écaillent, coupent, vident et préparent les poissons, et deux autres un peu partout. Il faisait froid. Des gens venaient en plus regarder ce qui se vendait, menaçaient la patience de certaines dames, repartaient. Parmi les serveurs, une ambiance tendue : outre les prérogatives de certains à écailler, à trancher le poisson (le vendeur débordé confiait ainsi son thon à couper), des sortes de passes d’armes, de chicanes à origines invisibles aux clients explosaient soudain en un coup de gueule entre deux d’entre eux : vite vu, l’un baissa aussitôt les yeux, soumis, tandis que l’autre levait encore le menton prêt à hurler une seconde fois son rappel à l’ordre. En face, aux Vergers de Picardie, le vendeur, bonnet de laine surmonté d’une sorte de bonnet de fou à clochettes pour égayer qui, maintenant, évidemment, dans cette concaténation des influences et des tissus, évoque celui de Charles Bovary.

Mardi, marché, minimum, roquette, oignons, citrons, lunettes. Au-dessus des faitouts, cuillères en bois, lot d’éponges étalés en vrac sur des lits de camp, une femme se penche vers des casseroles dit au vendeur c’est 8 euros ; il approche. C’est écrit 20 euros. Il rigole. La femme redit c’est 8 euros. Lui, alors, goguenard, dit tu vois pas le zéro !

Le traversent à l’occasion des pensées sur le monde, par brassées, par brouettées, l’Amérique, la Chine, la Russie, potentats économiques, territoriaux, d’images, de populations… il ne sait plus… ces pays, leur assurance d’être eux-mêmes, comme les Européens… au détriment…

univers symbolique total, tout objet est une porte, toute pensée, toute action n’a de présence qu’à donner accès à une autre couche… substrat cliquable… liens hypertextuels… invention non pas d’une pensée, de la pensée… Penser : façon de construire, d’archiver, de classer, de se retrouver… immanence morte… ça flotte. Aucune virtualité. L’ailleurs est solide, rémunéré… et transparent. Internet, jeu de calques, de miroirs, de fenêtres…

Hier, jeudi 12 janv, petit comité encore. Chai, Pierre et A.M., rejoint par Marie. Dîner au Mazarin à trois dans une salle clairsemée. Marie raconte par le menu la mise en place d’un prix littéraire qu’elle organise, les statuts, les règles, les donateurs et les patronages. Comme elle avait réalisé des photos pour Bruno et la course des garçons de café il y a quelque temps et n’en avait jamais été remerciée par un repas aux frais de la maison, elle rappela cette promesse hier, et c’est discrètement que Bruno nous invita cette fois-ci. Nous parlons de Hubert. Parlons également de recettes de célibataire : Marie me conseille des carottes râpées+oeuf+cumin pour varier. Rentré tôt. Le feu passe au rouge, bus qui arrive au loin, course vers le bld Saint-Germain pour sauter dedans.

Vendredi, marché, froid, épinard, roquette, gingembre, sauge, coriandre, menthe, poivrons, clémentines ; fanes de carottes qu’une dame fait couper ; munster et essai de tome du Jura, du morbier ; harengs miel-curry polonais ; blancs de poulet du Gâtinais (!). La fromagère de gauche, souriante, dit qu’elle a la main chaude. Le vendeur de primeurs a les doigts qui pèlent, en fait, des gants de plastique totalement usés qu’il change toutes les heures, sous des mitaines.

Aujourd’hui, aucune pensée. Type capable en fin de journée (il est 21 h 50) de faire un bilan ; il note, archive. Rien ne passe sans qu’il ne le sache et s’en souvienne. Dûment noté. Des piles de cahiers en font foi. Il n’a pensé qu’à elle. Il a écrit je pense à toi.august-sander eleanor-chicago-photo-by-harry-callahan-1953 high-school-graduate-photo-by-august-sander-1926

GREECE. Macedonia. 1964. Boy at a religious festival. "A Greek Portfolio" p.110 © Costa Manos/Magnum Photos

GREECE. Macedonia. 1964. Boy at a religious festival.
« A Greek Portfolio » p.110
© Costa Manos/Magnum Photos

J’ai beau traîner sur La Vie automatique, lire au compte-goutte, il me reste une dizaine de pages ; trop court.

Elle s’est relevée, regard effrayé, paniqué… comme si elle avait révélé en tombant la maladie, l’anomalie dont elle souffrait, drame dans les yeux de la révélation plus que mal au genou… genou en sang pourtant, et les mains écorchées… pas grave, ce qui compte c’est le regard…

Avoir été élevé parmi les femmes lui donnait un air impertinent

La Réception :

L’invitation, d’un caractère très officielle, émane d’instances dont il ne pensait même pas qu’elles pussent connaître son existence… alors même qu’il oeuvre depuis des années dans ce milieu, bref, l’hésitation est de courte durée : il faut s’en faire une joie, y aller. Il ignore le code vestimentaire adéquat à ce genre de réception ; il s’habille bien. Et c’est ainsi qu’il attend à la porte, à la bonne porte (il a vérifié dix fois), qu’il a sonné trois fois, frappé deux fois. Le soir tombe. Il s’écarte de l’hôtel particulier, allume son téléphone et, s’en servant de lampe, sort de sa poche le carton et vérifie une fois encore la date, l’heure et le lieu, considère le mur d’enceinte, oui, c’est bien là au bon jour… Il revient vers la porte, s’apprête à sonner de nouveau. Maintenant il sera en retard. Il croit entendre des voix, des bruissements, des pas. Puis plus rien. Il s’écarte, renonce, se retourne ; il est déjà à une centaine de mètres… Un homme en manteau élégant sonne à cette porte qui s’ouvre aussitôt et se referme. Il se précipite. Son attente a profité à quelqu’un d’autre ; il s’en veut (s’évasent immédiatement en esprit le vaste sujet de l’usurpation, celui des occasions manquées, non, il les referme aussitôt). Il sonne… nouveaux bruissements… même attente. Il va rester ici toute la nuit s’il le faut… Il sonne encore. Voix énervées derrière qui pestent contre lui, l’injurient, il entend son nom prononcé, puis rien. Il sonne. La porte s’ouvre sur un jeune homme au visage impassible et qui fléchit légèrement la nuque à son passage ; un autre à deux pas s’asservit au même garde-à-vous pour le recevoir, s’avance, lui demande son carton d’invitation et une pièce d’identité… le ministre en personne l’accueille à bras ouverts, abrège les formalités, le conduit vers le hall, puis dans l’escalier d’honneur… Il ne s’excuse pas pour son retard et le ministre ne fournit aucune explication à propos de l’inconduite de ses portiers… Il dit que c’est un honneur… inespéré… incompréhensible, pensait même être hors de… Pas du tout, on vous suit depuis le début, sourit le ministre, on vous soutient depuis le début… On pensait même, avoue-t-il, qu’il y avait quelque vertu à vous laisser tranquille, à ne pas vous déranger avec ce genre de réception sans intérêt, et même à se faire connaître auprès de vous… à vous le faire savoir… Assis l’un en face de l’autre dans deux fauteuils profonds, rangées de livres derrière chacun… On se demande où est la réception ; c’est un bureau ; il ne le demande pas… C’est maintenant une recension âpre et fastidieuse de ce qu’il a vécu, ses déboires, sa pauvreté, son rejet… De l’autre côté, on n’est pas d’accord du tout avec cette vision… On rit même de cette présentation à cent lieues de la vérité, de son statut… Le récit de cette vie ennuie un peu le ministre qui en connaît les détails d’ailleurs… devance même des aspects en citant des noms propres… preuves de la considération discrète, de la révérence lointaine… Soudain, la porte du bureau s’ouvre sur les deux portiers d’en bas qui entrent sans s’excuser, jettent un oeil ironique au ministre, à cette conversation, aux fadaises qui se débitent ici ; d’un air entendu, repartent s’amuser ; ils passent dans le dos du ministre, en profitent pour faire des grimaces, des pitreries et des gestes obscènes que les vitres de la bibliothèque reflètent, et qui font sourire le ministre ; ah là là, ils m’en font voir, a-t-il l’air de dire sans se plaindre vraiment. Ils disparaissent… La porte s’ouvre encore sur un homme et une femme qui tiennent une assiette et un verre, cherchent un coin où se poser, élisent le bord du bureau, aperçoivent le ministre, hochent la tête à son adresse et restent… Lui, cependant parle toujours de sa vie, soutient qu’on aurait dû le prévenir, qu’on n’aurait pas dû le laisser, qu’il a cru abandonner plusieurs fois, que le moindre signe l’aurait tellement consolé ; ce sérieux, cette façon de considérer son malheur sans distance, cette constance enfin commence à contrarier le ministre… Peut-il s’apprêter à dire vous êtes pénible ?… Non, ce dernier écarte en esprit le désagréable du moment, songe qu’il est à l’origine de cette invitation, qu’il doit passer outre les inconvénients de cet accès direct à un homme qui s’est saigné. Lui, d’ailleurs, décèle à d’infimes mimiques du ministre le dégoût qu’il inspire et change de ton… au reste, les deux qui sont là le gênent. Puisqu’il est venu, qu’il n’a jamais participé à ce genre de réception, il aimerait être présenté lentement aux invités, à tous les invités, connaître les raisons de leur présence. Non, c’est hors de question. Là-dessus, gentiment et fermement, lui est expliqué que personne ici de près ou de loin, sauf hasard, ne saurait avoir de raisons essentielles d’être invité : outre les parasites notoires importants à ce genre de sauteries qui meublent et répandent ensuite le récit de la soirée, les conjoints et les amis des invités, un bon nombre, la plupart, lassés de l’exercice ou absents de Paris ont refilé le carton d’invitation à une connaissance. Que cherche-t-on à venir écouter des discours… Prenez un verre, souriez si vous pouvez, parlez à qui vous voudrez… Vous allez voir, beaucoup pense comme vous… vous ne le saurez pas parce que beaucoup vous ignoreront ce soir, par politesse… Par crainte, également ? essaye-t-il (une façon de savoir ce qu’on pense de lui, ce qu’on a pensé pendant toutes ces années ; comme s’il tendait le bâton pour se faire battre, il choisit la pire voie). Ça ne manque pas. Le ministre répond oui, vous faites peur, c’est vrai. Votre exigence a quelque chose de… Là, il préfère ne pas finir la phrase du ministre en proposant quelque adjectif qui le disqualifierait plus encore. Quelque chose de… Écoutez, détendez-vous, buvez un coup. Si quelqu’un vous tape sur l’épaule, laissez-vous faire… bonne franquette… Go ! Encore une chose : personne n’aurait pu vous donner accès à quoi que ce soit, et vous ne l’auriez pas accepté, vous avez été votre propre garde-fou, ce n’est pas le mot, mais vous corrigerez, votre propre bourreau. Vous connaissez le babiroussa ? C’est un animal qui ressemble à un sanglier ou à un phacochère, il a deux cornes, en fait, ce sont ses dents qui poussent très haut et en arrière, et se courbent vers son crâne, finissent parfois par perforer sa peau et provoquer des infections. Très étonnant, très mal foutu… Se perçoit chez le ministre à ce moment, une extension abstraite et plaisante, comme un lien qui ne demanderait qu’à être cliqué pour tout ce qui toucherait à la chasse… plutôt que pour un goût prononcé pour la zoologie et les classifications animalières,… voire animaux en voie de disparition… tout est lié, dit la femme qui grignote au bureau… Ils vont entrer dans la conversation… ministre ravi… la mayonnaise prend… Vous connaissez la fin de La Marche turque ? Ça n’en finit pas de finir, on dirait un papier collant… il la chante, Lala… lala… lala, et encore, accords plaqués, plan… plan… et on y retourne pour une nouvelle salve… Pourquoi cette référence ? Sans répondre, le ministre décroise et recroise les jambes dans un mouvement souple qui fait à peine appel à ses bras et à ses mains pour prendre appui, révélant accessoirement une ceinture abdominale tenue… leur différence d’âge, non, ils ont le même âge… la souplesse du ministre dans ses gestes instille une aisance… son corps donne d’avance raison à ce qu’il énonce… Il reprend… Parce que c’est la fin… on vous a chaque fois alloué des capitaux pour vos recherches, nous fondant sur des publications passées pourtant inaperçues… notre politique a changé… j’entends notre politique générale, nous croyons de plus en plus au bienfait de l’anonymat, du bénévolat… Tiens, au fait, vous n’avez pas donné de coups dans la porte, vous ne l’avez pas secouée, vous ne vous êtes pas énervé et c’est ça qui a convaincu les portiers, enfin, les étudiants qui font portiers, de ne pas vous ouvrir tout de suite, ils aiment quand ils font attendre, ils se sentent exister, c’est tout bête… Sentir qu’ils contrarient, qu’ils mettent en colère ou désespèrent celui qui attend les rémunère… ça leur fait un bien fou… après, quand ils vous ouvrent, ils sont dans un état… la joie de leur sourire à vous accueillir ne vient pas d’autre part… depuis deux ans, ils sont là, à se demander s’ils sont encore étudiants ; il faudra que je me penche sur leur cas (dernière phrase dite comme une pensée toujours repoussée, un inconvénient, un chancre, un papier qu’il ne se déciderait pas à signer…)… Vous devez les imaginer visage sur leur téléphone en train de repousser les délais de l’attente, de tenter de battre leur record, à regarder les secondes passer, à imaginer à leur tour le visage décomposé de celui qui poireaute… ils connaissent assez bien les limites… Car quoi, en fait, ils ont été embauchés pour ouvrir et fermer ce portail, prendre des noms, vérifier les identités, fournir un petit badge de visiteur, mais rien dans leur contrat ne stipule le temps mis à faire attendre ; et puis, s’ils ne s’amusaient pas un peu, ils seraient là comme à leur arrivée, poings fermés dans les poches à déformer leur veste, à ruminer une bêtise ou pire à ne pas venir… ou pire encore à tramer des pétitions… Le ministre se lève pendant qu’il parle… A., le visiteur, il s’appelle A., le ministre l’appelle d’ailleurs par son prénom tout en continuant de le voussoyer. A., donc, ne comprend pas tout de suite l’élan de la conversation, l’allure de promenade donnée à ses phrases… qui convie à parler de choses et d’autres sans cap… Le ministre l’invite de la main à le suivre… A. se lève. Les voilà qui passent tout près du couple assis au coin du grand bureau. L’homme et la femme fixent A. tout le temps, cherchent à croiser son regard… A. se raidit, se détourne de leur insistance… Très habillés : lui, un noeud papillon, costume sombre ; elle, une robe gris perle sans manche, décolletée. Elle a un corps très fort, un double menton et un visage très beau. L’homme ébauche une courbette, se lève à l’approche du ministre… de la main ce dernier les prie de poursuivre sans s’en faire… Le ministre et A. sortent de la pièce, porte refermée… Un grand couloir… Ce sont les concierges, confie le ministre, une fois par mois ou pour les grandes occasions, ils s’invitent, participent ; ils adorent voir le monde. Je dois les prévenir si une personnalité me rend visite. Ils détestent… Parfois… une fois, un chanteur est venu. Ils ne l’ont pas reconnu… Ils l’ont appris et ont boudé plusieurs jours… Une autre fois, c’était un chercheur très célèbre… Ne vous en faites pas, ils cherchaient sur votre visage s’ils vous connaissaient, s’ils vous avaient déjà vu… Dans les minutes qui suivent, A. voudrait que tout soit déjà écrit, que tout soit déjà à lire, terminé, que la fin soit sinon connue, au moins présente, comme dans un livre, à un endroit précis, tangible ; non pas pour sauter des passages, mais pour savoir que cette visite aura une fin… Dans le couloir… Une porte s’ouvre… D’une pièce dont on aperçoit vite un bureau, un ordinateur, des rideaux de velours beiges, des fauteuils, un homme grand, impeccablement habillé, costume marine, cravate, cheveux, visage ferme et beau comme un mannequin, main sur un portable, interpelle le ministre des yeux, cherche à tendre le téléphone ou aimerait une réponse à quelqu’un au bout du fil… le ministre marche, avance, déplore muettement la situation, de la main indique A. dont il doit s’occuper (cette main, paume vers le haut, s’agite, molle, présente A. ,… voyez ce qu’on m’envoie, voyez ce que je dois faire ; au visage, une sorte de vague dégoût) n’a pas le temps, passe… l’homme au téléphone, expression brusquement servile, yeux en toit de niche à chien, sourire piteux, décomposé, enlaidi, se retire, referme la porte d’un geste étriqué… Assailli, comme on voit, de toutes parts, c’est bien du temps que le ministre offre à A.  si ce n’est l’expression de dégoût que A. interprète mal… D’une fenêtre du couloir, A. aperçoit la cour et les deux portiers assis sur une marche, auréolés de la lumière d’un lampadaire d’apparat, tête penchée, qui lisent… Le bruit des voix précède l’éclat des lustres… En entrant dans la grande salle, de nombreuses têtes se tournent vers le ministre… il reste un court moment avec A. et lui explique alors la raison de sa venue… il dit une chose importante… visage du ministre entièrement tourné vers celui de A., sans souci des gens qui entourent… Voilà, j’aimerais que vous écriviez l’histoire de ma vie, réfléchissez, ne répondez pas tout de suite non… Happé, le ministre comme avalé par les invités… Une femme, issue d’un couple dont l’homme reste en retrait avec un air de componction, tourne autour de A., finit par le saluer, l’appeler Calixte, l’a vu hier soir au théâtre… A. s’excuse, ce n’est pas lui… Vous lui ressemblez beaucoup, insiste la femme avec un petit air à qui on ne la fait pas, vous êtes allé chez le coiffeur. A. sourit, est désolé… La femme s’éloigne. A ce moment, l’homme (son mari) approche à son tour, excuse sa femme : elle est myope, confie-t-il à A. Plus qu’une tare, l’homme révèle son propre malaise et l’état de leur couple… une folie… Anonymat, oui, bénévolat, non, évidemment. A. se retourne ; c’est le ministre qui vient d’égrainer… par derrière… Réfléchissez, ce sera bien payé et je veux que ce soit écrit, bien écrit… irréprochablement écrit… tout le monde écrit… de nouveau avalé par les invités, le ministre rejoint un pupitre, guidé, conduit, forcé d’avancer, d’abandonner des conversations promises à l’un, de simples saluts à l’autre, pressé, tiré presque par le grand type du couloir… alors une femme aborde A. qui l’enrobe d’un regard fatal d’une autre nature que celle du désir… la femme du ministre… il vous a demandé, moi, je vous l’impose… du Balzac… ils devaient lire du Balzac, se dit A., à propos des portiers… Ils tiennent encore leur livre et traverse les invités jusqu’au buffet… L’un des deux fend la petite foule, tandis que le second, une main sur l’épaule du premier, l’autre tenant son livre, finit de lire une phrase ou poursuit un chapitre, ne semble pas pouvoir s’extraire. Arrivés au buffet, ils demandent ou se servent une grande rasade d’un alcool fort, se tournent vers les gens, oeil à la fois pétillant et morne… comme pour y guigner une proie… dos au buffet sur lequel ils se tournent pour piocher une tomate cerise ou un canapé garni… A., qui les suit des yeux, n’écoute pas la femme… Elle le remarque… dit ils ont tous les droits ici, quasiment, entrent dans les bureaux, se permettent des réflexions, critiquent, rigolent… Vous savez pourquoi ils ont tous les droits ? A., qui écoute maintenant, fait un petit non de la tête. Parce que, poursuit la femme avec l’air de pourfendre, ils ne demandent rien, ils ne sont pas des quémandeurs, ils n’attendent rien du ministre, ni cooptation, ni avis positif pour leur carrière (leur carrière de portier !!!), rien, ils sont quasi interchangeables et ils savent très bien qui ils sont, ils n’ont nul besoin de réclamer une reconnaissance, une… Et alors ? dit A., en quoi suis-je…? Vous, ici, avez beaucoup à gagner à accepter ce qu’on vous offre et beaucoup à perdre à refuser… Venez, je vais vous expliquer quelque chose : regardez, qui reconnaît qui, ici ? Très peu. Nul geste, nul habit, nulle décoration, nul apparat ne permet de déterminer la fonction ou le titre de l’un ou l’autre, comme dans l’aristocratie ; comment se distinguer ? comment se reconnaître ?… A. fait mine de réfléchir… hausse les sourcils, non, il ne voit pas… Il est agacé, il ne supporte pas les leçons… elle change de sujet non pas qu’elle se rende compte de l’ennui de A…. parce qu’elle est arrivée au bout de son idée… Vous comprenez, continue-t-elle, vous ne faites rien, vous, vous êtes le secrétaire perpétuel… tandis que nous… plus tard… je vous ai envoyé ma femme pour qu’elle vous énerve, afin que, par comparaison, vous éprouviez un soulagement à me revoir, déclare le ministre,… non, je ris… l’encombrement de leurs pensées… une glu… Sortir, sortir… commissions…

Tous sont réunis ici pour A., en son honneur… pour lui décerner une récompense… au discours d’ouverture du ministre, succèdent quelques pas toujours sobres dissertations… beaucoup viennent saluer ensuite A., le complimenter… puis se détournent, que croit-il… Ils n’ont rien à lui dire de plus ni ne vont lui tomber dans les bras. D’ailleurs, ils sont venus pour se retrouver entre eux, c’est même la seule occasion depuis assez longtemps… La femme du ministre lui explique le manège. Elle cherche maintenant à le convaincre qu’il a été choisi, lui, parmi d’autres, et qu’il doit remercier… Savoir dire merci vous manque… Vous n’avez même pas à réfléchir, vous allez accepter d’écrire la vie de mon mari.

En arrivant, A. regarde le ministre avec retenue, hostilité, tient à se démarquer, à ne pas pactiser… c’est le ministre qui lui explique l’attitude qu’il a eue en entrant… il comprend tout à fait, c’est la moindre des choses… pas un valet…

Les portiers sont bien habillés et portent quasiment le même costume ; personne ne leur a demandé de se présenter ainsi ; c’est d’eux-mêmes qu’ils revêtent chaque jour l’habit qui convient à leur fonction…

(((On ne peut pas être partout, tout voir, tout vivre – truisme – enfoncer des portes ouvertes)))

Du Chai, ce jeudi 19, avec Pierre L., Pierre, Marie nous conduit dans un passage à tapis rouge où quelques personnes trinquent devant des décorations intérieures, des cuirs travaillés comme des papiers de reliure, des coussins de soie, beaucoup parlent un anglais adéquat, s’intéressent, touchent des étoffes, sans doute se tractent ici des projets ; un grand radiateur à flamme visible prétend réchauffer la cour ; j’avance la main et touche sa grille de protection ; une dame m’imite, qui pensait jusqu’alors s’y brûler, s’en étonne comme d’une découverte ; je ne me sens ni malin ni savant ; par ailleurs, boire un verre ici ne nous fait pas passer pour des profiteurs, nous passons ; puis, Mazarin, avec Jean-Marie ; discutons avec Thierry F. de Anton. Rentré très tôt. Arthur travaille.orourkes-photo-by-william-gedney-c-1960

Très occupé, trop occupé, le cheval n’a nullement le temps de parler. Il n’a aucun moment à lui.

Changer de régime comme Baudelaire, voyage, alcool, drogue, amour ; littérature pratique. 120 depuis lundi 23 janvier.

Hier jeudi 26 janv, bus, Chai, avec Pierre. Puis Mazarin, retrouvons Francesca attablée ou debout dehors, malgré le froid, avec Marie, une certaine Florence, qui discutent avec d’autres. Elles dînent, puis Joël se joint, puis Irina qui fait une entrée, montre sa jupe spéciale bleue nuit, sa bague à deux têtes qui plaît beaucoup à Marie. Peu ou pas bu, parti tôt. Bus qui passe sous le nez. Seau à champagne, cadeau de Bruno, qui passait durant la soirée, air goguenard. Beaucoup de conseils à Francesca qui part dans le Kamchatka prendre des photos, évoquer Irkoutsk, le transsibérien…

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C’est un silence bien différent ce dimanche dans l’immeuble, entre les morts et ceux qui partent. Les voisins du dessus sont partis ces jours-ci, ont passé leur première nuit ailleurs ; ils reviennent aujourd’hui débarrasser, finir, étaient là depuis quinze ans.

Mardi 31, marché ; Nelly ( et ses fromages) chante les prix ; toujours même phrase musicale : deux ré (chiffre et première syllabe du mot euro), puis montée en sol pour le « ro » et les centimes en decrescendo sur fa, mi, quelque chose comme ça. Elle chante la fin de la négociation, la rétribue tout en apaisant le mal du sujet (l’argent), terme tabou qu’il faut bien aborder après la description des fromages, leurs régions formidables et les animaux laitiers. Caneton gâtinais, herbes, carottes, bananes, poivrons, citrons, en prime un avocat contre ceux, immangeables, achetés l’autre jour, que le vendeur vantait pourtant, choisissait même ; hareng miel curry chez le marchand polonais ; et baguette Utopie. Croisé voisins du dessus qui finissent le déménagement en caddie.

Pour déjouer sa décision d’arrêter de boire, le convaincre de l’accompagner au moins sur un verre et connaissant son besoin de différence plutôt que d’originalité, elle lui dit qu’en ce moment elle n’était entourée que de gens qui arrêtaient soit de boire, soit de fumer… Décanté, proche des régions déjà où on retrouve une sorte de forme moins pâteuse… la remarque ne le toucha pas…

Commencer à la rencontre… quand on a tué, volé, extorqué, vécu de trafics…

Jeudi 2, bus, Chai, Pierre L. et Pierre en discussions médicales ; Mazarin, Pierre L. sort d’une anesthésie générale, est schlass, ne reste pas ; Jean-François G., à Paris pour examens, puis A.M. et sa maîtresse Martine. 120 depuis dix jours donc. Puis Virginie et Philippe C. Philippe reste dehors, accueille Dorothée P. Alain B. vient broyer l’épaule de Pierre par amitié. A la fin, Pierre, Jean-François, rejoignons la tablée dehors, mais j’y vais. Philippe C., debout, se frotte les mains, est content du monde.

J’étais chez moi, mais rien n’était sûr. Entouré de femmes avenantes et faciles d’accès, j’avais l’embarras d’un choix qui, à tergiverser, se compliquait, et j’allais loupant des occasions, cependant que l’appartement se remplissait de gens pour une fête dont j’ignorais l’objet. Je demandais ce qui se passe, sans réponses. Je cherchais à m’isoler, mais chaque chambre était occupée ; ce que je cherchais à visiter des chambres : m’isoler avec une femme, comprendre cette fête, me reconnaître, et enfin dormir, car une irrépressible envie gagnait mon esprit. Je trouvai à m’asseoir dehors sur un banc métallique au dossier haut composé de tubes à section carrée. Mes yeux se fermaient malgré les angles et la dureté des barres sur lesquelles reposait mon crâne ; mon manteau à côté de moi m’empêchait de sombrer : si on allait fouiller mes poches. Il fallut se réveiller, se lever. Alors dans les rues des bandes de grands enfants ; ils cherchaient querelle, me tordaient les doigts ; je me défendais ; ils étaient nombreux. Un groupe formé de trois frères roux et d’un autre finissait par me laisser tranquille… leur sourire narquois.

Fermé

27 décembre 2016 § Poster un commentaire

 

Il n’écoute jamais. Pour obtenir son attention, il faut justement lui dire qu’il n’écoute jamais. Alors, il se tourne et sourit comme si l’on avait trouvé son mot de passe. Souvent dans ses nuages, il n’occupe pas ses pensées à tel ou tel souci, mais évolue plutôt comme derrière un écran qui brouille les ondes sonores, paroles et bruits, et l’isole. On ne croit pas qu’il s’occupe à chercher des moyens de s’abstraire ; en tout cas, rien ne le suggère dans son expression, coup d’oeil de biais ou sifflotement, non, rien, ni qu’il s’ennuie de vous. A son contact, on s’interroge, on pense à soi ; oui, voilà, avoir accès aux gens. Comment fait-on ? C’est, pour lui, une histoire d’intérêt qu’il trouve de moins en moins souvent. Cependant, il est là. Il pourrait rester chez lui. Sa vue apaise, car elle évoque les territoires calmes qu’il semble entrevoir. Rien ne le dérange ; on rejoint donc son paysage comme un meuble et il y a même une forme de délicatesse à faire partie, le temps que l’on passe avec lui, de la chanson du monde.

Il n’y a pas dans notre communauté de protocole précis lorsqu’on s’adresse à quelqu’un ; malgré tout, au café ou au restaurant, quand on a pris la peine de se déplacer, on conçoit communément de discuter et c’est un plaisir… recherché… personne ne fait grief à l’un ou l’autre de s’absenter, d’être dans la lune… ni ne se met en quête des raisons… il n’y a pas d’ordre du jour.

Sentiment du paragraphe, de sa fin (Flaubert).

Mardi marché, clémentines, poivrons, menthe et coriandre, citrons ; coquelet et blancs de poulet (on vient de l’abattoir (du Gâtinais), ils sont tout frais). Beaucoup de marchands absents.

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angela-strassheim-untitled-running-girl-2007Je n’aime pas cette photo, je m’en rends compte. Sa fiction ne m’intéresse pas. Le champ ouvert par son regard, sa course outrée, ce vert, ce gris, ce jaune. Pas d’étoffe. Creux. Je vais l’enlever. Elle n’est plus là.

Visiter le musée Gustave Moreau aujourd’hui (mercredi 28 déc) avec Carlotta, assis sur un banc ou un tabouret, tirer les rideaux et regarder les dessins, les esquisses sous verre qui se présentent en panneau ; promenade dans le neuvième, et retour pour travailler sur la Chaise rouge et bleu, dossier à rendre mais elle se perd dans les copiés/collés d’images et de textes. Tout est déjà dit, fait sur internet. Il s’agit d’un travail d’altération qui fait découvrir sans doute l’objet. e ou pas e à bleu ? a été une question.

fred-stein-coney-island-1946Je fumerai après. Oui, tu fumeras après.

gordon-parksPromenade rapide aujourd’hui (jeudi 29 déc) à la Cité de la mode, regardé la Seine, repartis aussitôt. Impossible de la convaincre d’aller au Musée de la mode ou au Musée des Arts décoratifs en échange bien qu’il y eût une expo sur le Bauhaus en relation avec sa Chaise rouge et bleu, non, le bâtiment de la Cité l’intriguait, bon, c’est vu, voilà.

Nouveau menuet à étudier. Tartines, feu. Avec Gabriel, rapporter trois gros sacs de bois ; encore humide, il fume et crépite.

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SŽrie photographique consacrŽe au dŽpartement de la Seine Saint Denis.© Manolo Mylonas.

mary-ellen-mark-melanie-griffith-and-don-johnson-together-on-the-beach-night-movessanibel-island-florida-1973Et toute la série de photos qui les entoure à cette époque.

melanie-griffith-and-don-johnson-together-on-the-beach-night-moves-sanibel-island-florida-1973-mary-ellen-markmary-murphy-los-angeles-1954-the-desperate-hours-movieFictionpeter-lindbergh-linda-evangelista-paris-france-1990L’une fume, l’autre non, fait semblant (les deux pour la photo) ; ou plutôt l’une intéresse, existe, l’autre non. Il ne s’agit pas de beauté, mais de trafic, de visée. La surface s’est déplacée.peter-stackpole-sophia-loren-in-a-manhattan-coffee-shop-in-nyc-1958robert-frank-paris-1950

35mm_12302_ 023 peu de fiction, ici, étrangement, trop d’apprêt, de conscience, ou une fiction normée, pour studios

weegee-couple-in-voodoo-trance-1956william-gedney-three-girls-in-kitchen-1964il y a une période où on a fait le flamant rose, n’empêche, c’est bien

yasuhiro-ishimoto-child-chicago-1948-521964-burlesque-dancer-blaze-starr-poses-at-her-home-in-baltimore-maryland-by-diane-arbusPhoto vue, copiée, photocopiée, peinte (essai de grand tableau, loupé). Van Eyck.

baraa-al-halabi-syria-2014david-goldblattdiane-arbus-a-young-man-and-his-girlfriend-with-hot-dogs-in-the-park-new-york-1971douglas-fairbanks-jr-and-joan-crawford-photographed-by-edward-j-steichen-in-1931

I143.1, 12/1/05, 11:49 AM, 16G, 3848x3854 (800+844), 100%, Cruz 080205, 1/120 s, R67.3, G57.4, B71.7

jock-sturges-untitled-1984La main tournée de la jeune fille, vers la mer. Pose relaxante pour le bras, comme le flamant rose pour les jambes.

lee-miller-1928-by-edward-j-steichenlee-millermouton-mai%cc%88swilliam-gedney-young-girl-1964J’en avais assez de faire le flamant rose avec les copines dans la cuisine. Ouais, quoi ?

august-sander-die-boxers-hein-hesse-and-paul-roderstein-cologne-1928 august-sander-jungbauern-1914En une photo, l’histoire de la photo. Considérer les regards, les mains, la hauteur des chapeaux sur le front, les cannes, les expressions, le cadre. Ils s’en vont payer une dette à la peinture, ou en reviennent. Le mouvement. Il faut encore poser.

august-sander-konditor-pastry-chef-cologne-1928Saint et son accessoire.frantiska-dostalKafka. Pour Arthur, sur le chemin de l’école, j’ai fait parler les pigeons, les feux rouges, les barrières et les arbres.

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august-sander-bricklayers-mate-1928L’histoire des saints et de leurs accessoires.

diane-arbus-girl-in-a-party-dress-nyc-1962 imogen-cunningham-helena-mayer-canyon-de-chelly-3-1939 imogen-cunningham-helena-mayer-canyon-de-chelly-1939 imogen-cunningham-three-dancers-mills-college-1929 ruth-orkin-ladies-home-journal-cover-1950balanc%cc%a7oireJoie. Tu me vois ? Tu m’as ?catherine-spaak ekaterina-grub-sergei-yesenin-1922

family-dining-in-destroyed-apartament-warsaw-1944On venait de nous couper l’électricité pour impayé, on se débrouillait. Photo du pire, mais on est ensemble. Aller moudre le café à la cave, muni d’une prise sur ampoule. On avait sorti un petit réchaud de camping.

sous-bois witold-gombrowicz-et-rita-labrosse-mai-1966Sa petite-fille dans la classe, cette année, vu la mère à la réunion des parents.

vers la fin

13 décembre 2016 § Poster un commentaire

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diane-arbus-autoportrait diane-arbus-jeunes-femmes edward-steichen-greta-garbo edward-steichen-heavy-roses-1914 edward-steichen-portraits-evening-from-camera-work-the-steichen-supplement-1906Comme nous étions beaux, mon amour ! robert-frank-mary-with-large-daisy-in-her-hair-1953

Marché dans les rues avec Gabriel et Arthur.

Jeudi 15 ou 16 déc, Chai, Bruno et Leila, Pierre, un couple, la femme écrivain raconte ses projets avec une détermination qui fait envie. Mazarin avec Jean-Marie et Pierre. Prévoir de partir à Briare, mais pas possible, accompagné Carlotta et sa copine au train.

Gabriel travaille le Prélude II de Bach, si difficile, une Invention, un Mozart, un Nocturne ; comparons les versions sur YT, les délires de Gould.

L’héroïne, coup d’épée dans l’eau, geste pour effacer, comme s’il ne s’était rien passé. Retouches sur les expressions du visage. Ne lui prêter aucune pensée ouvre de grands champs.

Envoyé.

L’argent, l’amour confortent seuls durablement. Il faudrait pouvoir penser ainsi, s’en construire des aphorismes, voltiger entre les sentences, bâtir des scénarii où l’un manquerait quand l’autre serait plus fort que tout. Histoire des histoires. Fin : le héros heureux et riche — le héros heureux d’aimer —  Il faudrait finir sur une note légère : le héros boit un coup en terrasse. Plus subtil, le héros est en train d’effacer quelque chose, n’importe quoi sur une ardoise, symbole éclair de son histoire. Ou bien, plus fort, le vent l’efface. Ne témoigner que de gestes qui effacent ce qu’ils viennent de faire, s’y tenir, rien d’autre. La santé, troisième et dernier comparse de la trinité, ne sera jamais qu’un souhait.

Le vent dans les cheveux.

Jeudi 22 décembre, comité réduit à Pierre, au Chai, Francesca, rejoints par Anna B. au Mazarin ; peu de monde dans la salle. En rentrant, à l’arrêt de bus, deux touristes, plan en main ; la femme s’approche, demande la place Acadia, ou Acadie. On est à Odéon, au pied de la statue Danton, et je ne vois pas du tout où cette place se situe, ignore même ce nom, le dis ; l’homme, éloigné d’une dizaine de mètres, ne participe nullement à la demande, semble subir cette quête. La femme trouve suspect que je ne sache pas, et s’éloigne dépitée ; une autre femme qui attend me confie qu’ils avaient l’air de se faire la gueule, que cette place n’existe pas. Vérification faite aujourd’hui ; la place existe et ils lui tournaient le dos. Tout le monde avait tort ce soir-là vers 00 h 30.

Sentiment d’avoir beaucoup parlé d’un grand-père lorsque Francesca s’y intéresse, pourtant très peu de souvenirs, très peu vu, cultivateur, Ernest Jamard.

Au marché tôt ce matin, vendredi, beaucoup de gens, veille du réveillon ; une femme à qui on fait choisir entre Madagascar et Afrique du sud pour origine des litchis dit les meilleurs, les plus chers. Discussion avec une autre chez le poissonnier, conseil de préparation des coquilles saint-jacques, achetant en même temps pour son petit fils, se demandant où était passé son vendeur, parti ouvrir ses six saint-jacques. Chez le fromager, maintenant, assez régulièrement se mettre dans la file d’attente du côté de la femme désagréable pour l’entendre chanter combien on doit, et ça fait deux euros cinquante-cinq, il faudrait des notes de tous les côtés ; devant moi, une très vieille dame qui ne voulait pas grand chose, mais prenait beaucoup de temps à lui faire comprendre à cette grande saucisse de vendeuse qui ne sourit jamais et hurlait des avis en pensant que la vieille dame n’entendait rien, et je m’écartais parce qu’elle hurlait sec ou frais, parlant d’un chèvre dont la dame ne voulait surtout pas qu’il fût trop salé, c’était très clair, et je ne m’impatientai jamais. Enfin, la dame obtint son brebis frais, et ce fut à moi : crème fraîche et quart de munster, dont on me prévint qu’il ne fallait surtout pas le mettre au frigo pour l’affiner, à ce moment, la patronne croisa mon regard pour acquit (c’est-à-dire que la patronne se fait une vertu de prévenir ses clients que le fromage se conserve hors frigo et qu’elle m’avait déjà fait la leçon ; pouvait se déceler également une sorte d’impatience résignée : on a beau le lui dire, cette vendeuse ne s’adoucit pas et, pire, ne reconnaît pas les clients) ; cette vendeuse, brune, pilier de gauche donc de cet étal, abat de la besogne, connaît son métier, et son aspect désagréable (ses lèvres portent même de petits plis réfractaires et ses lunettes de vue, gages de sérieux et de rectitude, dispensent un air de maîtresse d’école qui tue dans l’oeuf tout commentaire) sert le commerce : ici, on a le choix des fromages, des goûts et de la façon : brune ou blonde, cru ou cuit, brebis ou vache, sec ou frais, doux ou fort ; en ces périodes, deux, puis trois autres vendeurs ont rejoint les rangs : le fils de la patronne, là depuis quelques mois en fait ; une petite vieille, gentille, parfois tête en l’air ou lente, au bras trop court pour attraper certains fromages comme le munster qui l’oblige à demander de l’aide ; et une troisième femme, là pour les fêtes. Nouveau marchand polonais qui vend « les meilleurs chaussons du monde en vraie laine de mouton » et parle du vendeur de harengs polonais auquel on achète le hareng-miel-curry depuis des semaines ; ils se connaissent évidemment ; récité, le seul mot polonais qu’on connaît, salut.

Ecoute Véronique Sanson.

Retombe et relis cent fois lu Préparatifs de noce à la campagne qui, chaque fois, fait partir, et le livre tombe parce que la narration trop forte aiguise sur d’autres narrations personnelles et que les livres s’écrivent en esprit, et sieste profonde. Ne pouvoir dormir que sujet de phrase capté. De plus en plus problématiques, à cause des travaux dans l’immeuble, coupées, retardées, ajournées, les siestes forment une grande partie du travail. Rencontré le nouvel occupant du troisième qui emménage aujourd’hui alors que l’appartement n’est pas fini. Type qui va habiter là où, depuis 1933, habitait quelqu’un d’autre.

Ce soir, samedi 24 décembre, immeuble très silencieux, voisins d’en-dessous pas encore emménagés, voisins du dessus à Berlin (lui, à 5 h 30, se préparant, me réveillant, y allant, il me l’avait dit, non pas l’heure de son départ mais le lieu et la date), même aux fenêtres du quartier à 20 h 30 beaucoup de noir. Sentiment qu’il faut que je fasse quelque chose de spécial ce soir, mais non. Pauvre soirée en cuisine, je compte sur ma tarte aux herbes accompagnée de France-Culture pendant une heure, mais la radio retransmet l’entretien d’un compositeur-interprète turc aux idées fermes, mais sans joie, chiant, Mozart chiant, retourne à l’ordi écouter George Michael réinterprété Papa was a rollin’ stone des Temptations, « I never had a chance to see him » « and when he die… » et puis écouter trois, quatre fois

 Il n’est que 22 heures. Puis Kafka, Préparatifs.

Ce matin, 25, tout le quartier calme et sombre, aucune voiture à 6 heures. Faire une machine.

 

Bohumil

25 octobre 2016 § Poster un commentaire

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Bohumil Hrabal

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Bill Eppridge

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Aller et retour à Bordeaux, lecture de « Personne » ; du fantastique, il y en avait dans le corps du texte : saut d’un tronçon d’une page à l’autre dû à un défaut de fabrication. Aucune présence d’esprit pour traduire l’accroc de lecture en pirouette de sens. Promenade tôt dans la ville, jusqu’à la gare ; arrêt à la cathédrale, au marché des Capucins (décevant, cher, peu de choses) ; voisine qui emplit des cases de mots fléchés tout le trajet.

11 novembre, marché, bourré de monde.

Léonard Cohen. Photo au dos de la pochette Songs from a room. La machine à écrire, la Grèce. Univers idéal. La chanson, « Seems so long, Nancy ». Découverte vers 16 ans. Ecoutée des dizaines de fois. Deuxième 33 tours acheté. Apprise à la guitare. Tablatures sans notes.songs-from-a-room

Marché Bastille, ce dimanche 13 novembre, boulevard Voltaire barré, détour par le boulevard Richard Lenoir, petite bruine, froid. Je cours. Carlotta me rattrape en sprintant. Des policiers et des CRS partout ; pareil hier soir, elle a dû faire un détour. Gens qui marchent, recueillement. Nous apercevons le Bataclan. Carlotta veut voir qui est là, mais on ne voit rien. Elle demande : a-t-on retrouvé tout le monde ? Je dis oui, oui. Idée que les morts sont dispersés, introuvables, perdus. Arthur, filmé en train de dessiner sur le marché vendredi dernier, doit passer dans un reportage sur le quartier : thème : la vie qui continue ; on cherche sur FR3, on ne le voit pas. Acheté chinois, un pont-l’évèque, un goupillon.

Rhume, qui couve depuis lundi dernier à marcher dans les allées des jardins du Carrousel. Idem aujourd’hui, Louvre. Toujours, avec un rhume, expérience.

Il faut qu’il écrive un livre à la mesure des conneries dont, volontairement ou pas, il encombre ses jours. Un livre qui le rachète. L’écriture comme rachat, l’après coup, lendemain de cuite, paroles piteuses, présences fautives. Le bon livre comptable. Débit/crédit.

Hier soir jeudi 17 novembre, bus, Chai, un Beaujolais nouveau pas goûté, présenté timidement partout. A.M. et Pierre au comptoir, puis Francesca. Au Mazarin, quatre, puis cinq avec Marie qui annonce Roberto, puis huit avec Jean et sa femme, puis Joël qui raconte la Chine avec Francesca, les photos mal tirées, mal encadrées, les hôtes ne parlant ni anglais, ni français, organisant une exposition à Shanghai pour eux, des histoires politiques. Puis Irina avec un sac à main en peau de vache, Patricia et son abeille sous la cuisse. Toutes parlant des pères de leurs enfants dans un concert ahurissant qu’on ne connaissait pas. Dernier bus. Petite pluie.

Essai de lire Le Comte de Monte-Cristo, long, très long, dialogues qui tirent à la ligne, situation diluée sur des pages, dichotomie.

Tombe sur Dames du XIIème siècle, Georges Duby, lis. (De sieste en coucher, terminé le 26, très beau livre).

Jeudi 24 novembre, bus, Chai ; Bruno, son fils et un ami dans un angle, Pierre et A.M. ; ce dernier part dîner. Mazarin, Francesca rejoint par Joël, dîner en terrasse avec Ricardo. Conversations peu agréables sur la politique, des irritabilités, des amertumes, des mépris.

Trouvé quelque chose sans doute dans la notion d’interchangeable ; idée triste quand elle concerne les gens.

Regarder les Enfants du Paradis avec Carlotta. Feu dans la cheminée.

France-Culture, j’entends Hélène Fillières, et toute l’émission, sans bien comprendre les truismes, les portes ouvertes, les choix, le discours pauvre et les envolées plates, dus sans doute à l’émission, confonds avec Sophie, la soeur admirée pour sa délicatesse ; relativiser ce qui s’est dit, se dire qu’il faudrait des dizaines d’émissions comme celle-ci pour placer la femme, seule véritable lutte révolutionnaire actuelle, placer la femme.

Repris Saint-Simon, et le pauvre Harcourt.

Notre immeuble est un chantier. Après tous les morts, les appartements vendus sont rénovés, remis en état, au troisième, au quatrième de notre cage, en face. Plus un autre chantier : le feu du sixième : réfection des toitures. Juste en-dessous, au troisième, lourdes rénovations, notre voisin y vivait bien sans considérations des nouveautés depuis 1933 ; mort à 104 ans, il laisse un appartement du siècle passé. Saignées dans les murs, percussions des sols, abattage des cloisons, infernal. Une équipe sud-américaine s’y colle, parfois au son de salsa à fond la caisse. Au soir, une femme vient nettoyer la poussière dans les escaliers, c’est-à-dire qu’elle passe rapidement une éponge ou une serpillière sur tous les niveaux et qu’une fois les marches séchées, toutes se grisent de poussières concrétées, une boue, et le chantier ressort plus encore. Ce soir, en bas des échafaudages pour le toit, avisant de gros sacs en jute de plastique qui bâillent, j’aperçois des lattes et des morceaux de pannes, de liteaux et de chevrons coupés qu’on s’apprête à jeter ; j’en remonte deux sacs pleins, et feu de cheminée. Plus une lourde palette cueillie à la laverie d’à-côté où on venait de livrer une machine à laver. Barre à mine pour les clous, scie pour les voliges et les planches.

Samedi 3 décembre chez Philippe C. et Virginie, du monde, et attablés à quatre avec Patricia, Karen et Jean, en venons, comment ? à évoquer les cours de Barthes dont, trois parmi nous, avions été les auditeurs !

Chaque soir, des sacs de chantier du toit remontés, c’est le toit qui brûle dans la cheminée et chauffe l’appart.

Copie d’élève : il est skizofriend. Hier soir, jeudi, vu cinquante parents, parlé à chacun cinq ou dix minutes précisément de leur enfant ; une mère part à vouloir me décrire son fils que je ne connaîtrais pas, elle-même physique et langage froids, passe-partout, pas vu que le fils était interchangeable, se froisse de rien comme petites gens qui viendraient ici guigner de quoi exister à lire des bribes, traquent en vain Internet pour y lire leur nom. Une autre mère, nattée, parée de vêtements flamboyants et ethniques, tout de suite hostile, on répète plusieurs fois ce qu’il faudrait faire et qu’elle fait alors que faire ? son regard hautain empêchant tout. Une autre mère, aimable comme la plupart, sanctifiant le travail entrepris et partant à discuter du texte, de l’origine du nom du héros. Au garçon petit, rond et toujours souriant correspondait la mère petite, forte et gracieuse mais inquiète parce qu’il ne fiche rien, il laisse tout tomber, se décourage très vite, m’explique-t-elle et qui s’outre, à raison, que la femme qui l’aide se moque parfois de lui parce qu’il ne comprend pas certaines choses. Une boîte de chocolat de la part d’une mère maîtrisant mal la langue, ses cinq enfants que j’ai ou ai eus, gentillesse. Autre copie d’élève : une décèsption. Mots d’élèves comme une rétribution joyeuse aux centaines, aux milliers de lignes lues par an.

Saint-Simon : mort, enterrement de Monsieur le Prince, 1709, histoires de manteaux longs, de fauteuils.

Lundi 12 décembre : nouvelle fournée de parents.

Dans l’appartement d’en-dessous, le chantier dure. Ils ont bruyamment plusieurs semaines cogné avec tous leurs outils de percussion, abattu des cloisons, saigné des murs, tranché des sols. Avec les travaux plus calmes d’enduit, de ponçage, d’électricité, de plomberie, comme ils se connaissent mieux, c’est la boom, rumba cubaine, salsa à fond. Le soir tombe, s’entend un hurlement qui est le départ d’une phrase de chanson a capella d’un peintre. Ils finissent tard, bossent le samedi. Mes siestes au protocole si précis ont volé en éclats. Il faut dormir selon leur pause, travaillé donc à leur façon.

Les informations planétaires fournissent, déclenchent, occasionnent (liste complète de synonymes) des problèmes planétaires. Être global dans la langue.

Enlever les « et », tous les « et », s’éloigner de la Bible.

La fromagère explique, pour le vendre, qu’il s’agit d’un maroille véritable, mais déclassé, d’où le prix. Toujours, ces arguments pourris qu’il faut croire pour jouer à la marchande et au client. Sinon, c’est Carrefour ou Franprix.